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(outrageant) qu’on avait affiché un soir ; et l’empereur sur un trône sans glands (sanglant). Ce qu’elle ne peut retenir, ce sont ces boutades féroces, familières aux grandes dames de l’ancien régime, et qui déchirent la victime. En Suisse, elle rencontre un monsieur bien vêtu qui s’obstinait à la reconnaître en la saluant d’un air sans façon, ce qu’elle lui rendait d’un air sec, sans s’arrêter. Le soir, au moment d’une lecture fort intéressante, l’importun se fait annoncer comme un parent de son ami le sénateur Casabianca ; elle le reçoit assez froidement, lui ne s’aperçoit de rien, commence à demander des nouvelles du général Sébastiani, parle de sa belle conduite à Constantinople, puis il ajoute maladroitement : « Je connais bien cette famille ; le père de votre gendre était un commerçant qui a fait son chemin lui-même. — vraiment, éclate la marquise, eh bien ! votre père, à vous, a fait un imbécile ! »

Malgré sa force d’âme et sa gaîté naturelle, elle n’avait pas le cœur aussi philosophe que l’esprit et retombait souvent dans une douloureuse mélancolie. Un jour de promenade, elle voulut gravir une montagne escarpée malgré le vent, les ronces et mille difficultés. On espérait le soleil, il ne parut pas : « Eh bien ! dit-elle, ce que nous venons de faire là est l’image de la vie, et c’est assez triste, n’est-ce pas ? » Sa compagne le trouvait, au contraire, très amusant, car elle avait le soleil en elle-même. Une autre fois la marquise reprenait : « C’est le temps qui nous fait ce que nous sommes ; il nous faut le soleil et l’air pour être dans notre valeur. On devrait dire à ses amis : Quel temps fait-il chez vous ? » Elle a de grandes crises de tristesse : Mlle Newton l’aidant à faire quelques fleurs de tapisserie, elle dit « qu’il n’y a plus à présent d’autres fleurs pour elle dans le monde que celles qu’elle fait à l’aiguille, mais que le monde est plein devant moi de véritables fleurs. » Un jour de pluie, elle imagine des devises de cachet et demande à la jeune fille de lui dessiner une fontaine avec cette devise autour : Profonde, mais cachée ; c’était pour elle et son chagrin. Puis, pour Sarah : une hermine avec cette légende : Douce, blanche et fine.

Pendant une de leurs promenades, celle-ci retrouve soudain un arbre cherché longtemps en vain, sur lequel, deux ans auparavant, Fanny avait gravé son nom. « Je pousse un cri ; Mme de Coigny, croyant qu’une bête me mordait, crie de son côté ; je lui montre l’arbre, et alors elle se met à fondre en larmes : « Dieu soit loué ! m’a-t-elle dit, la hache a respecté ce gage muet et parlant de ma chère fille. » Nous l’avons garni d’une foule de branches roulées autour, afin de le retrouver. En rentrant, Mme de Coigny a chargé le médecin d’aller chez l’administrateur des domaines afin d’obtenir l’ordre de conserver cet arbre précieux. Si cela ne réussit pas,