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êtes mes mémoires et mes gazettes. Je ne crois qu’à vos découvertes et à vos opinions.

Quelle aimable créature que votre esprit, et que vous êtes- heureux, au milieu de vos malheurs, de l’avoir pour consolateur ! Je ne crois pas, depuis les deux dernières lettres que j’ai reçues de vous, que je me trouve à plaindre, même de votre absence… De grâce, continuez à vous rendre ainsi présent à moi, en dépit de la distance qui nous sépare.

Vraiment la tête me tourne de votre silence, et mon cœur tremble de n’avoir pas à vous le reprocher… Adieu, aimez-la (sa fille Fanny), aimez-moi, en attendant que nous puissions nous dire : aimons-nous. Je ne crois pas que nous soyons les premiers à lire nos lettres. Les vôtres restent un temps en chemin, qui me prouve qu’elles s’y arrêtent. Pourvu qu’un beau jour elles ne s’y fixent pas jusqu’à s’y confisquer. Ah ! je vous avoue, par exemple, que, si telle chose arrivait, je deviendrais plus anti-révolutionnaire qu’aucun aristocrate. (La commune de Paris avait, au nom de la liberté, continué la tradition du cabinet noir.)

Il y a quinze jours que je n’ai reçu de vos nouvelles, mais je le regrette trop pour vous donner, par ma paresse, la même cause d’inquiétude et de chagrin. Donnez-moi des momens de tranquillité le plus que vous le pourrez… Les uns disent que vous êtes en trêve ; d’autres, en guerre ; mais tout cela ne saurait me laisser en paix… Adieu, je n’ai que le temps de vous assurer que mon tendre intérêt ne permettra pas plus à mon souvenir qu’à mon cœur de se détacher ou de se distraire de vous.

Par grâce, faites-moi donner de vos nouvelles,.. chaque poste, ne serait-ce que par votre laquais. J’ai besoin d’en recevoir exactement, pour ne pas mourir d’inquiétude. Je vous assure que c’est bien assez d’être condamnée à en vivre.

Je reviendrai vendredi pour le jour de la poste. Voilà le véritable intérêt de ma vie, le reste n’en est que le remplissage.

Songez que mon âme est tellement en vous que je ne sens rien en moi que souffrance et inquiétudes, lorsqu’elle n’est pas rassurée sur vous.

Mon intérêt pour vous est l’âme de mon existence ; ainsi ne me sachez pas plus gré de vous aimer que de vivre… Adieu, croyez que mon cœur, mon âme et mon esprit sont tout à vous et en vous…


Tandis que les Coigny jouissaient de la plus grande faveur à la cour et se partageaient un million de pensions sur la cassette royale, la marquise avait, comme Lauzun, pris parti pour le duc d’Orléans, pour la révolution. Elle assistait volontiers aux séances de l’assemblée nationale, dans la salle du manège. Un jour qu’avec Diane de