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celle de son amie, la femme Voltaire, la marquise du Deffand, cette illustre ennuyée qui divisait le monde en trois parts : trompeurs, trompés et trompettes.

A côté de cette éclatante personnalité, la duchesse de Biron se recommande par sa douceur et sa bonté, par la pureté intérieure d’une âme qui rayonne sans cesse sur un visage angélique, par un mélange original de finesse et de naïveté. Il s’élève autour d’elle comme une clameur d’admiration et de sympathie attendrie : sans efforts, sans calcul, par la dignité de son attitude, elle obtient la considération générale, captive les amis et les indifférens, les hommes et les femmes ; seul son mari resta insensible au charme pudique de l’épouse qui l’aimait et n’osait peut-être pas lui montrer son cœur. Mme de Lauzun, écrivait Mme Necker, rougit dès qu’on la regarde et rougit encore de s’être aperçue qu’on la regardait… Les portraits d’imagination sont les seuls qui lui ressemblent. Rousseau raconte que la maréchale, la jugeant trop timide, faisait ses efforts pour l’animer, et qu’elle lui permit plusieurs fois de l’embrasser, « ce que je fis, avoue-t-il, avec ma maussaderie ordinaire. » « Au lieu de gentillesses qu’un autre eût dites à ma place, je restais là, muet, interdit, et je ne sais lequel était le plus honteux de la pauvre petite ou de moi (elle avait alors onze ans). Un jour, je la rencontrai seule dans l’escalier du petit château ; elle venait voir Thérèse, avec laquelle sa gouvernante était encore. Faute de savoir que lui dire, je lui proposai un baiser, que, dans l’innocence de son cœur, elle ne refusa pas, en ayant reçu un, le matin même, par l’ordre de sa grand’maman et en sa présence… Rien de plus aimable et de plus intéressant que sa figure, rien de plus tendre et de plus chaste que les sentimens qu’elle inspirait. » Quand elle se sépara de Lauzun, elle retourna chez la maréchale, qui lui fit une société quotidienne, composée de Mme de Boufflers, de Choiseul, du Deffand, de Broglie, des princesses de Poix, de Bouillon, d’Hénin, de l’abbé Barthélémy, du président Hénault. Riouffe, le cousin Jacques, le dictionnaire biographique, affirment, et après eux Lacour, Sainte-Beuve, ont répété qu’elle fut guillotinée en 1794. L’éditeur des lettres de Mme de Coigny soutient au contraire qu’elle vécut jusqu’en 1823, mais il semble avoir confondu la duchesse Amélie de Biron avec Amélie de Boufflers, belle-fille de la comtesse de Boufflers, l’idole du Temple, l’amie du prince de Conti, dont Mme de Genlis rapporte la mort touchante avec des détails très précis. Dans ses dernières années, Amélie de Boufflers connut en effet la ruine et la détresse. Deux femmes de chambre, deux amies, Mme Morta et Mme Martin, restèrent auprès d’elle jusqu’à la fin ; en vain leur disait-elle : « Je puis bien