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charme souvent exquis, délicieusement maniérées, de M. Cazin, ou dans les excentricités lumineuses de M. Besnard, fréquemment sauvées par un fonds résistant de science et par une originalité intéressante de composition, c’est, à proprement parler, vouloir nous faire prendre des vessies pour des lanternes.

Il n’y aurait donc pas, en vérité, à s’effrayer beaucoup de tout ce tapage et de tout ce verbiage à propos de modernité, si ces paradoxes, encourageons pour l’ignorance, n’avaient pour effet d’arracher trop vite les jeunes peintres à leurs études indispensables, et, sous prétexte de les rendre plus libres devant la vie, de leur enlever les moyens nécessaires pour la comprendre et pour l’exprimer. Malgré la supériorité relative de notre exposition, il ne faudrait pas s’abuser sur les causes qui rétablissent et qui sont surtout d’ordre technique et matériel, d’ordre scolaire. L’enseignement, chez nous, a été, depuis un siècle, soit dans les ateliers, soit dans les écoles publiques, donné avec conscience et reçu avec respect. C’est par le fonds de savoir et par les qualités de faire, non par l’intelligence ou l’imagination, que nous dominons sur les étrangers. Dessinateurs ou coloristes. MM. Meissonier, Donnat, Delaunay, Jules Breton, Henner, Carolus Durau, Jules Lefebvre, Jean-Paul Laurent, Morot, Ferrier, Roll, Gervex, sont, avant tout, de bons ouvriers, sachant leur métier et s’y perfectionnant chaque jour. Si l’indifférence pour la précision du dessin et pour la force de la couleur, si le goût malsain pour l’indécision des formes et l’alanguissement du rendu, que nous voyons se répandre dans certains groupes, devaient se généraliser et gagner toute l’école, nous toucherions promptement à une de ces crises de fatigue assez fréquentes dans l’histoire de la peinture, à la suite des périodes productives. C’est le phénomène qu’on a vu se produire en Italie à la fin du XVIe siècle, en France à la fin du XVIIIe, état singulier et morbide d’anarchie, d’inquiétude, d’anxiété qui mène vite à une décadence définitive, à moins qu’il ne surgisse, pour rétablir l’ordre et diriger l’activité, quelque praticien un peu rude et étroit, quelque magister énergique et convaincu, un Carrache, un Caravage ou un David !


GEORGE LAFENESTRE.