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solide et durable. Il est possible, sans doute, d’avoir plus de brillant dans le coloris, plus de fusion dans les teintes, plus de souplesse dans le modelé ; mais n’est-ce pas justement parce qu’il est facile d’abuser de ce brillant, de cette fusion, de cette souplesse, et parce qu’il est de mode aujourd’hui d’en abuser, que la protestation un peu sèche d’un dessinateur, si attentif et si rigoureux, est un contrepoids salutaire et indispensable à des entraînemens périlleux ? En examinant les écoles étrangères, on remarque que les maîtres qui y font actuellement autorité, les Menzel, les Liebermann, les Leibl, les Alma Tadema, procèdent presque tous de M. Meissonier. Il serait facile de constater en France que, parmi les jeunes hommes de la génération dernière, son influence chez les peintres d’histoire, de mœurs, et même de paysages tend plutôt à s’étendre qu’à s’affaiblir. MM. Detaille, Morot, Le Blant, François Flameng, tous les peintres militaires, se rattachent visiblement à lui. MM. J. -P. Laurens, Merson, Maignan, H. Pille et la plupart des historiens archéologues ont puisé chez lui la passion de l’exactitude. Toute l’école des anecdotiers et des costumiers, en commençant par M. Heilbuth, en finissant par MM. Vibert et Worms, marche, depuis trente ans, à sa suite et, parmi les peintres de mœurs contemporaines, soit à la ville, soit à la campagne, c’est à qui lui demandera conseil. Ce n’est pas beaucoup s’avancer que de regarder MM. Dagnan-Bouveret, Lhermitte, Friant, Dawant, Dantan, Adan et bien d’autres, sans parler de MM. Béraud, Raffaelli, Gœneutte comme des admirateurs sagaces de son talent d’analyste et de metteur en scène. Il a suffi qu’il s’arrêtât, il y a quelques années, en Provence, et qu’il en fixât les roches ensoleillées de son regard hardi et pénétrant, pour qu’il en sortît à sa suite tout un groupe de paysagistes, de Nittis, MM. Moutte, Montenard, etc. L’artiste, savant et réfléchi, qui expose aujourd’hui l’aquarelle épique de 1807, le Guide de l’armée du Rhin et Moselle, le Voyageur et les études d’intérieurs et de paysages qu’on voit au Champ de Mars, n’est pas près, pour notre bien, de perdre ni sa surprenante fécondité, ni son action nécessaire.

Les maîtres de la génération suivante gardent, presque tous, leurs positions acquises. Quelques-uns s’élèvent à un degré supérieur. On regrette, parmi eux, l’absence de MM. Gustave Moreau et Gérôme, qui, tous deux, tiennent une place considérable dans les arts, l’un, par l’originalité poétique de son imagination, l’autre par la sévérité salutaire de son enseignement. Les peintres historiques sont peu nombreux, nous en connaissons la raison. C’est dans les monumens publics que, depuis quinze ans, s’est exercée l’autorité de la plupart d’entre eux, notamment celle de M. Puvis