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hasardant qu’avec toutes sortes de craintes à imiter leur sincérité. C’eût été de l’ingratitude de ne pas ouvrir les portes à Lazare Bruandet (1755-1805), le nomade de la forêt de Fontainebleau ; à George Michel (1753-1843), l’infatigable explorateur des merveilles de la butte Montmartre et de la plaine Saint-Denis, qui vécut près d’un siècle, sans gloire comme sans ambition, tendant d’un côté la main à Lantara et de l’autre à Théodore Rousseau. On voit, par leurs études, que le sentiment de la nature, pour s’exprimer chez eux, soit bien mesquinement, soit bien sommairement, n’en était pas moins déjà très juste et très profond. Il faut rendre aussi justice au bonhomme Demarne. Son Goûter de faneurs dans une prairie (1814) est une pièce agréable ; les fonds de verdure, baignés par la lumière, sont traités déjà avec une vérité frappante. Mais le morceau qui prouve le mieux que, dès la fin du XVIIIe siècle, on comprenait la nécessité de marcher avec décision dans la voie indiquée par Joseph Vernet, détournée et barrée par Hubert Robert et Fragonard, c’est une Vue de Meudon, par Louis Moreau l’aîné (mort en 1806). Pour la franchise de la vision, pour la liberté de l’exécution, c’est presque une œuvre moderne, avec ces qualités de tenue familière actuellement passées dans l’école de M. Français. Si on avait ajouté, à ces morceaux, quelques spécimens des paysages de style, produits, suivant les principes officiels, par l’école académique, Valenciennes, Bidauld, Victor Bertin, on aurait eu sous les yeux tous les élémens d’où est sortie l’école contemporaine. Ce serait, en effet, une erreur de croire que ces derniers artistes, aujourd’hui démodés, mais dessinateurs exacts, compositeurs réfléchis, possédant un sentiment élevé des beautés typiques et générales de la nature, n’aient pas, soit directement, soit indirectement, exercé une action durable sur leurs successeurs. Leurs élèves, Rémond, Edouard Bertin, Aligny, Michallon, furent les maîtres ou les conseillers de presque tous les paysagistes de 1830, et ceux-ci, comme leurs camarades, les romantiques de l’histoire et du genre, durent à la force même de cet enseignement classique, contre lequel ils se révoltaient, les habitudes sérieuses d’étude et de réflexion qui manquent souvent à nos jeunes contemporains, soumis à une discipline moins rigoureuse, mais moins fortifiante.

Si l’on ne se souvenait pas de ces stylistes méprisés, on comprendrait mal, par exemple, le plus populaire, à l’heure présente, des paysagistes de 1830, celui dont la gloire éclate, au Champ de Mars, comme la plus pure et la plus incontestée, Camille Corot. Né en 1796, élève de Rémond, camarade de Michallon, admirateur d’Aligny, imitateur de Joseph Vernet et de Claude Lorrain, passionné d’Italie et de poésie grecque, Corot n’éprouve, en vérité,