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le peuple, les esquisses du Mirabeau et Dreux-Brézé, du Boissy-d’Anglas à la Convention, du Meurtre de l’évêque de Liège, appartiennent à la maturité de sa vie, à la période la plus brillante de son activité, sous le gouvernement de Louis-Philippe, qui lui confia plusieurs commandes importantes. Ce n’est pas que la lutte entre les révolutionnaires et les réactionnaires, entre les romantiques et les académiciens, se fût apaisée après les journées de juillet par l’avènement au pouvoir des libéraux en politique qui étaient aussi des libéraux en littérature et en art. Malgré la protection marquée de plusieurs membres de la famille royale et de plusieurs ministres, notamment d’Adolphe Thiers, Delacroix et ceux qui le suivaient eurent à subir plus d’une fois les rigueurs de l’Institut, alors maître des Salons. Ni lui, ni son rival Ingres, en dehors d’un petit groupe d’artistes et d’amateurs, ne parvinrent à gagner les laveurs soit du monde officiel, soit du monde bourgeois, auxquels leurs personnalités, trop tranchantes, semblaient toujours excessives. En ce temps de juste milieu, toute la popularité alla vers les modérés et les politiques, vers ceux qui, par tempérament ou réflexion, sagesse ou calcul, semblaient vouloir tenir la balance égale entre les austérités rigoureuses du dessin classique et les explosions capricieuses de la couleur romantique. Le Musée historique de Versailles fut la carrière ouverte où s’exercèrent, avec trop de hâte, parfois avec grand talent, tous ces éclectiques. On a bien fait d’y aller chercher le Dix-huit brumaire de François Bouchot, mort à quarante-deux ans ; c’est une œuvre bien pensée et bien peinte, d’une composition exacte et vivante, d’une exécution forte et soutenue. On pourrait trouver d’autres peintures supérieures dans cette collection trop dédaignée, où travaillèrent les trois artistes distingués qui accaparèrent alors la faveur du public, Horace Vernet, Ary Scheffer, Paul Delaroche.

Il suffit d’évoquer le souvenir des œuvres spirituelles, délicates, émouvantes, auxquelles se rattachent ces trois noms pour sentir combien l’exaltation imaginative des périodes antérieures était déjà tombée et combien, en descendant de plus en plus vers la peinture anecdotique, littéraire, archéologique, on s’éloignait à la fois de l’idéal héroïque de David, de l’idéal humain de Géricault, de l’idéal passionné de Delacroix, de l’idéal plastique d’Ingres. Il serait injuste, cependant, de méconnaître, comme on est trop porté à le faire, la valeur réelle d’Horace Vernet, d’Ary Scheffer, de Paul Delaroche, en regardant uniquement l’inégalité, l’incertitude ou la faiblesse de leurs moyens d’exécution. S’il est à craindre qu’un très petit nombre de leurs ouvrages, même parmi les plus fameux, puissent faire grande figure, dans les musées, à