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Au Champ de Mars, comme dans l’histoire, la place d’honneur est pour David ; c’est assurément justice. Une dictature comme celle qu’il exerça sur la France et sur l’Europe durant plus de trente ans n’est si universellement acceptée que parce qu’elle s’accorde avec les tendances contemporaines. Ce n’est pas David qui ressuscita, en France, le goût des études antiques, déjà misa la mode par Caylus et Barthélémy, ni qui détermina, par dégoût des folâtreries et des polissonneries, dans toutes les intelligences droites, des aspirations vers un idéal d’art plus sérieux et plus noble : la même passion pour Rome et pour la Grèce, les mêmes ambitions d’héroïsme et de grandeur n’animent-elles pas tous les hommes de la Révolution et de l’Empire ? Lorsque parut, au Salon de 1784, le Serment des Horaces, personne ne songea donc à y critiquer la raideur des attitudes, l’emphase des gestes, la dureté des contours ; on ne vit, dans cette raideur, que la fermeté, dans cette emphase que la grandeur, dans cette dureté que la précision. David formulait, dans cette scène héroïque, ce que tous appelaient de leurs désirs, un art viril, digne et puissant. Du premier coup le réformateur dépassait le but, ne pensant plus qu’à l’attitude sculpturale des figures et à leur netteté linéaire, y sacrifiant tout : et l’harmonie colorée, et l’exactitude lumineuse, et l’expression physionomique. C’est parce qu’il était excessif qu’il fut compris, fit disparaître tous ses rivaux, s’imposa.

Il semble qu’on ait eu peur, au Champ de Mars, de nous montrer David sous cet aspect de styliste, systématique et rigide, régentant l’école avec cette volonté de fer dont les effets se prolongèrent longtemps après sa mort. On n’y voit de lui que des portraits et un grand assemblage de portraits, le Sacre de l’empereur Napoléon et le Couronnement de l’impératrice Joséphine, c’est-à-dire ses œuvres les moins contestables, mais non pas celles qui agirent le plus sur ses contemporains. Le choix d’ailleurs est excellent et bien fait pour apprendre à ceux qui ne le sauraient pas combien l’auteur des Sabines et du Léonidas, placé directement en face de la vie, savait l’exprimer avec simplicité et précision, combien aussi ce maître sincère, beaucoup moins exclusif dans sa pratique que dans sa théorie, était plus ouvert qu’on ne croit aux honnêtes séductions de l’exécution pittoresque. Il y a vraiment, à défaut de chaleur, dans les deux toiles datées de 1788 et 1790, un tel air de loyauté, une telle simplicité d’attitudes, une telle exactitude des visages, qu’on ne pense plus à regretter la grâce et l’éclat de tous ces beaux portraitistes d’autrefois, si habiles, mais si suspects, les Nattier, les Largillière, les Rigaud. Voici de nouveau un homme qui regarde son semblable, les yeux dans les yeux, et qui, loyalement,