Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/479

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

danger immédiat, pressant, — on ne le croit pas du moins. Rien ne semble révéler dans l’un ou l’autre camp l’intention de provoquer, de précipiter un conflit dont on ne peut entrevoir l’explosion sans crainte ; rien non plus, il faut l’avouer, n’est absolument tranquillisant dans une situation fatalement précaire, où les esprits incertains et agités, prompts à s’émouvoir de tout, sont réduits à chercher des indices dans une entrevue ou dans un toast, dans une visite impériale qui se fait ou ne se fait pas, dans les démonstrations qui accompagnent un souverain dans ses voyages. Il est certain que, depuis quelque temps, la visite toujours attendue, toujours ajournée, du tsar en Allemagne est devenue une sorte d’obsession irritante, qui finit presque par être comique, pour les journaux allemands. Le tsar fera-t-il décidément son voyage d’Allemagne ? On a cru un moment qu’il le ferait en allant en Danemark : il est à Copenhague, il n’a pas paru sur le territoire allemand. Quand le verra-t-on maintenant ? Sera-ce d’ici à quelques jours, avant le départ de l’empereur Guillaume pour Athènes ? S’il vient, arrivera-t-il jusqu’à Berlin ou s’arrêtera-t-il à Kiel pour se rencontrer avec son jeune parent Guillaume II ? Voilà la question ! Les journaux allemands s’épuisent à l’élucider ; ils font des enquêtes, ils vont même jusqu’à rechercher s’il y a des préparatifs, si on change les rideaux à l’ambassade de Russie à Berlin ! ils n’ont pu jusqu’ici rien découvrir.

Évidemment, l’empereur Alexandre III n’est pas pressé. Il n’entend pas, selon toute apparence, se dérober à l’obligation de rendre la visite qu’il a reçue à Péterhof ; il semble avoir voulu choisir son heure, et la preuve qu’il n’y a pas en tout cela de complication bien grave, c’est qu’en attendant l’empereur Alexandre, s’il doit venir, le tsarévitch vu en ce moment assister aux manœuvres allemandes en Hanovre ; il a été invité à venir voir manœuvrer le régiment dont il a été nommé colonel l’an dernier. La présence du tsarévitch serait une compensation ; seulement, le grand-duc héritier de Russie devrait aussi, dit-on, venir à Paris pour voir l’Exposition, et c’est ici que la compensation perdrait de son prix, que tout recommence à s’obscurcir. Le plus clair, au fait et au prendre, est qu’on ne sait rien, que l’empereur Alexandre fera ce qu’il voudra, — que, quelle que soit l’heure où il ira en Allemagne, il est dès ce moment à peu près avéré qu’il n’en sera ni plus ni moins pour le système des alliances, que toutes les politiques resteront ce qu’elles sont. Le voyage du tsar dans les conditions présentes ne paraît pas pouvoir modifier la situation générale telle qu’elle a été créée par la marche des événemens, par la force des engagemens contractés comme par la puissance des intérêts depuis longtemps en présence. Rien ne serait changé par ce voyage, de même que rien n’est changé par le voyage que l’empereur François-Joseph fait en ce moment dans ses provinces, notamment en Galicie, où il n’aurait admis, dit-on, que les attachés militaires de l’Allemagne et de l’Italie à assister aux manœuvres mi-