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fait que les conservateurs ne sont peut-être pas pour le moment dans des conditions plus favorables, qu’ils se sont tout au moins laissé entraîner dans une campagne passablement aventureuse. Évidemment, par les idées et les intérêts qu’ils représentent comme par leurs traditions, par l’appui qu’ils trouvent dans les instincts modérés de la masse française, par toutes les forces morales et politiques dont ils sont l’expression vivante, les conservateurs auraient pu, depuis longtemps, prendre un rôle, sinon plus actif, du moins peut-être plus efficace et plus utile pour le pays. Ils l’auraient pu, sans désavouer leurs regrets ou leurs espérances, en restant ce qu’ils sont, en se prêtant simplement aux circonstances, aux conditions d’un régime qu’ils reconnaissent en définitive tous les jours, dont ils sont bien obligés de subir les inconvéniens et dont ils ne s’assurent pas les avantages. Ils n’auraient pas rétabli la monarchie ou l’empire, puisqu’ils ne le pouvaient pas ; ils auraient servi et défendu le pays dans ses intérêts, dans ses traditions et ses croyances, avec la légalité qui existe, avec une constitution, qui, après tout, a l’avantage d’être la plus simple du monde. C’était leur rôle, le seul rôle possible, pratique et utile. Il n’est point douteux que parmi les conservateurs il en est beaucoup qui ont souvent senti et qui sentent encore la nécessité de poursuivre sans cesse les transactions possibles, de ne pas jouer les destinées de la France sur un coup de dé. Il en est aussi qui cèdent à la fascination des aventures et mettent dans leurs programmes que tout vaut mieux que ce qui existe, — qui n’hésitent pas à entrer dans toutes les alliances, dans toutes les coalitions en prenant ce mot d’ordre de la « révision » qui se prête à tout. Eh bien ! que peuvent-ils gagner sérieusement à cette politique de promiscuités et de coalitions compromettantes ? les ont à subir d’étranges solidarités, cela est certain. S’ils ne sont pas les alliés du général Boulanger, ils ne sont pas ses adversaires. Ils marchent du même pas, « parallèlement, » comme on le dit. Ils font campagne ensemble, simultanément, pour la conquête de la révision. C’est là justement l’équivoque qui fait la faiblesse, la situation fausse des conservateurs dans la lutte qui est engagée aujourd’hui. Et quand ces singuliers coalisés réussiraient à leur tour, qu’en résulterait-il ? On ne s’entendrait plus évidemment, même entre conservateurs, sur cette révision qu’on poursuit. Ce ne serait ni la restauration de la monarchie, ni le rétablissement de l’empire ; ce serait le commencement de l’anarchie, d’une série d’agitations indéfinies dont le dénoûment serait peut-être encore une fois la dictature. De sorte qu’à en croire les partis, la France serait aujourd’hui placée entre ceux qui n’ont à lui offrir que la continuation de la politique qui a préparé la crise où nous sommes, et ceux qui proposent, pour la sauver, de la précipiter dans des révolutions nouvelles.

Est-ce à dire que la France en soit réduite à cette extrémité, qu’elle