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rester étranger aux luttes politiques, et en toute justice on peut ajouter que, parmi les récentes lettres pastorales des évêques, il n’y en a pas une seule où la république soit mise en cause ; mais cette réserve inhérente au sacerdoce n’exclut point évidemment pour un prêtre le droit d’exprimer une opinion, de donner un conseil dans l’intérêt de la religion dont il est le ministre. Serait-ce parce qu’il est rétribué par l’état que le clergé serait condamné au silence, à une abstention rigoureuse ? Mais les instituteurs sont aussi rétribués par l’état, et M. le ministre de l’instruction publique leur a fait un devoir de se jeter tête baissée dans la mêlée. Serait-ce parce que les prêtres sont dans une situation privilégiée qu’ils cesseraient d’avoir leurs droits de citoyens ? Mais ils n’ont plus le dernier privilège qu’ils gardaient encore. Ils subissent comme les autres la loi militaire, et, s’ils sont soumis aux obligations communes, ils ont les droits de tous les Français. Est-ce en vertu du concordat que M. le ministre des cultes s’attribue un droit de radiation à l’égard des membres du clergé suspects ? On a pu le faire sans doute, on l’a fait même ; ce n’est pas moins un acte arbitraire, discrétionnaire. Et c’est ainsi que M. le garde des sceaux Thévenet travaille à la paix religieuse dans l’intérêt de la république !

Lorsque M. le ministre des affaires étrangères, Spuller, parlait récemment dans ses programmes d’une république tolérante, libérale, où en avait-il pris le modèle et de quelle république voulait-il parler ? Est-ce de celle de M. Thévenet, qui fait ses circulaires pour la paix religieuse aux évêques ? Est-ce de celle de M. Constans, qui fait de tous les fonctionnaires des soldats au service de ses candidatures officielles ? Est-ce de la République qui menace déjà ses adversaires d’invalidations systématiques ? Cette recrudescence de la passion de parti est tout simplement le gage de l’alliance nouvelle des opportunistes et des radicaux dans la lutte qui est ouverte. Et quand les uns et les autres réussiraient, quand même ils retrouveraient ensemble une majorité, qu’en serait-il de plus ? Ils sont plus ou moins unis avant le scrutin, ils se diviseraient le lendemain ; ils redeviendraient inévitablement des frères ennemis, et la république qu’ils prétendent sauver ne s’en trouverait pas mieux, — ni le pays non plus. Quelles garanties offrirait au pays le succès électoral de cette prétendue concentration républicaine qui n’est à sa manière qu’une coalition incohérente ? Ce serait le renouvellement ou la continuation du règne de dix ans, des désorganisations administratives, des aventures financières, des mobilités ministérielles, des abus de parti, des tyrannies de secte, des capitulations, des agitations stériles. Ce serait ainsi parce que cela ne pourrait pas être autrement. C’est la fatalité de la situation que les opportunistes se sont faite pur une fausse politique.

Les républicains ont toujours sans doute une ressource de polémique et de combat, celle de se tourner contre les conservateurs, et il est de