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réserves de force, d’intelligence, de bonne volonté ; on se rassure, on espère, et l’on ne recommence à s’inquiéter qu’en regardant vers le cerveau qui dirige le pays, en y retrouvant la paralysie constitutionnelle dans le lobe droit, les symptômes de gangrène ou de folie dans le lobe gauche.

Souhaitons du moins qu’après avoir défrayé notre curiosité, l’Exposition exotique nous fasse réfléchir sur les devoirs nouveaux que nous assumons dans le monde, sur le grand changement de ce monde par l’expansion de tous sur tous. A l’Esplanade, comme à la galerie des machines et sous la Tour, tout proclame la rupture de l’ancien équilibre par les nouvelles conditions d’existence qui nous sont faites, par la pénétration réciproque des peuples, le poids social du nombre, la puissance dynamique des forces dérobées à la nature. Tout annonce des bouleversemens à côté desquels la révolution d’il y a cent ans n’était qu’un jeu, un germe, si l’on préfère. Comme aux jours qui virent finir la vieille Rome, mais avec une impulsion infiniment plus rapide, plus intense, plus universelle, la fusion des hommes et des idées manifeste une crise de l’histoire. Quand elle agite et mêle ainsi l’humanité, c’est pour lui préparer de formidables coups de théâtre, le passé nous en est garant. On n’avait pas attendu l’Exposition pour s’en rendre compte ; mais dans cette ville œcuménique des Invalides et du Champ de Mars, complétée par la physionomie cosmopolite de notre Paris depuis quelques mois, nous avons pu observer ces photographies instantanées, involontaires, que les grands mouvemens historiques laissent sur les choses ; chez tous ceux qui les auront vues, les inductions philosophiques se seront transformées en convictions entrées par les yeux, et c’est beaucoup pour la plupart des hommes.


EUGÈNE-MELCHIOR DE VOGÜÉ.