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taïki est un cercle dans lequel deux points opposés, générateurs de mouvemens en sons contraires, donnent naissance à deux spirales susceptibles de se mêler à l’infini. L’un de ces points représente le principe du bien, de la lumière, de la chaleur, de la vie ; l’autre, le principe du mal, de la nuit, du froid, de la mort. Tout naît, existe et se transforme par l’action réciproque de ces deux principes. Le taïki traduit aux yeux la conciliation des contraires par le mouvement, l’équilibre du monde moral et du monde matériel, maintenu par le jeu des forces opposées. Le symbole chinois contient en puissance toutes les explications de l’univers auxquelles ont abouti chez nous des siècles d’observations expérimentales et d’inductions savantes.

Grâce aux traductions de M. Dumoutier, nous pourrons bientôt étudier les principaux livres de prières. On y discerne deux inspirations de valeur fort inégale. L’une provient du taoïsme dégénéré ; elle a multiplié dans ces livres les formules magiques d’exorcisme contre tous les mauvais génies qui guettent l’homme ; si l’on dégage l’esprit général de ces formules de leur transcription particulière dans la pensée annamite, on y retrouvera les exorcismes qui remplissent le dossier criminel d’Urbain Grandier et des Ursulines de Loudun. Dans l’autre inspiration, on reconnaît ce qui subsiste du bouddhisme primitif ; elle a dicté des prières souverainement belles. Feuilletons le Passeport pour le ciel, le rituel funéraire des bonzes. Il contient des oraisons et des préceptes cérémoniaux pour tous les genres de mort, pour le décapité, pour la victime de la foudre, du tigre, du serpent. Introduit près d’un moribond, le prêtre prodigue des conseils à l’âme, il lui indique les issues par où elle doit sortir du corps, les barques et les ponts qu’il faut éviter ensuite, ceux qu’il convient de prendre parce qu’ils conduisent au mont Mérou. Puis le bonze récite les prières de l’agonie : « Le ciel et la terre sont dans le chaos, l’eau et le feu roulent ensemble en désordre, mais trois fleurs se réunissent sur une seule tige, et le tigre est dompté, le dragon est asservi. Le nuage de cinq couleurs s’étend sur le monde, il contient les cinq élémens. Le Saint apparaît. Le ciel se forme et se lient au-dessus, la terre se dégage et se tient au-dessous ; au milieu sont tous les êtres qui se groupent ou se dispersent. » — Les enfans s’agenouillent auprès du mourant, le bonze répète l’invocation : « Le ciel et la terre sont assombris. Oh ! l’âme, sortez ! » — Et il dit des versets qui finissent ainsi : « L’Esprit se condense et retourne au néant sans que son influence cesse de régir le monde. Il persiste, invisible, inconnu, incompréhensible, comme serait le reflet dans la mer d’une lune qui n’existerait pas. » — Enfin, l’oraison dite du passage, ou du dernier