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L’octette et le trio offrent, pour cette période de la vie de Beethoven, le même intérêt que les six Bagatelles pour la période précédente. La plupart des inventions de ses derniers ouvrages s’y trouvent indiquées en germe, quelques-unes même presque entièrement réalisées. Comment ne pas citer au moins le finale de l’octette, cette mélodie alerte et joviale où vient s’entremêler mystérieusement une fuguette d’une mélancolie légère, tantôt balayée par le retour du motif principal, tantôt se faisant jour de nouveau dans quelqu’une des parties ? C’est déjà le finale de la dernière sonate de piano et violon : c’est une préparation au divin andante du quatuor en fa mineur (op. 95).

Suivant Wegeler, le comte de Waldstein aurait eu le mérite « d’apprendre à Beethoven l’art de varier un chant. » En réalité, ce mérite ne revient qu’à Beethoven lui-même. La variation a toujours été le principe essentiel de sa musique, si l’on entend par là le fait de transformer un motif, de lui faire traduire, tour à tour, tous les sentimens qu’il contient. Les derniers quatuors ne sont, à ce point de vue, que des variations, et il suffit de se rappeler l’andante du quatuor en ut dièze mineur, le finale du quatuor en la majeur, ou bien le cycle des Bagatelles, op. 126, pour apercevoir la science mystérieuse qui a permis à Beethoven de tirer d’un thème de deux ou trois notes un monde infini de nuances d’émotions. Ce que le comte de Waldstein a appris à Beethoven, c’est la variation telle qu’elle était alors à la mode, un genre tout mondain et d’aimable divertissement. Beethoven y a vite excellé, sans atteindre pourtant à la perfection de Mozart. Ici encore il lui a fallu, pour déployer à l’aise son génie, modifier de fond en comble le genre tout entier : ses 33 Variations sur une valse de Diabelli, un des chefs-d’œuvre de ses dernières années, ne sont à dire vrai qu’une immense fantaisie, un cycle de morceaux reliés par un fil invisible et nécessaire[1]. Les Variations sur une ariette de Righini et les Variations sur un air de Dittersdorf datent, au contraire, des années de Bonn et présentent tous les caractères des variations du temps : du moins se distinguent-elles de celles des années suivantes par un plus grand souci de la polyphonie et du rythme.

Mais l’occupation favorite du jeune homme à cette époque était

  1. C’est en 1802 que Beethoven inaugura, avec les Variations, op. 34 et 35, cette manière nouvelle. Il en prévint le public, suivant une habitude qui lui était chère, par l’avertissement que voici : « Comme ces Variations se distinguent essentiellement des précédentes, je les ai admises dans l’énumération de mes grandes compositions, au lieu de les numéroter à part. » Jusque-là, en effet, il n’avait jamais consenti à laisser mettre un numéro d’œuvre sur ses Variations ; il ne le permit pas davantage pour plusieurs variations qu’il publia plus tard, notamment les trente-deux Variations sur un motif original en ut mineur (1807).