Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Vous excuserez que je vous vie ici retenu si longtemps avec mon bavardage, tout cela était nécessaire pour ma justification.

« Je vous prie de ne pas me refuser dès maintenant votre digne amitié, car je ne désire rien autant que de me rendre seulement digne en quelque chose de votre amitié.

« Je suis, avec tout respect, votre obéissant serviteur et ami,

« L. van BEETHOVEN,

« Organiste de cour du prince électeur de Cologne. »

Il semblait bien, en effet, que la destinée fût sans pitié pour le jeune musicien. Son père, désespéré comme lui, épouvanté à l’idée de se trouver seul à soutenir sa famille, rebuté dans ses demandes de secours, n’avait vu d’autre remède que de passer dehors ses jours et ses nuits. Beethoven était plus que jamais forcé de diriger la maison : il devait chercher l’argent, s’occuper du ménage, payer et surveiller la servante. Et l’année ne s’acheva pas sans le frapper d’un nouveau malheur. Sa petite sœur Marguerite, la seule qui lui restait, mourut le 25 novembre. C’était elle, sans doute, que sa mère, au lit de mort, lui avait recommandée avec le plus d’instance : c’est sur elle qu’il avait reporté son ardent besoin de tendresse. Désormais, tout était vide devant lui.

Il est vraisemblable que, dans ces noires journées, l’orgue dut être pour lui un consolateur précieux. C’est alors, peut-être, qu’il composa l’un de ses chefs-d’œuvre, un prélude en fa mineur, d’une facture déjà très serrée, digne, à ce point de vue, des meilleurs préludes de S. Bach. Mais quel autre que Beethoven aurait su mettre en quelques lignes d’un contrepoint simple et sans recherche, une aussi poignante expression de mélancolie ? Toujours la même phrase se déroule, lente et sombre, et parfois elle s’élève comme une plainte ou un reproche, et la voici qui revient en dessous avec sa lourde tristesse. Il faut aller jusqu’aux derniers quatuors, notamment au largo du quatuor en fa majeur (op. 135), pour retrouver un pareil accent de désolation.


V

Dans les derniers mois de cette année 1787, la situation de Beethoven s’améliora subitement. De tous côtés lui vinrent les appuis matériels et moraux, et les cinq dernières années de son séjour à Bonn doivent être comptées parmi les plus heureuses et les plus profitables de sa vie.

Il eut d’abord, pour le soutenir dans ses embarras de famille,