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A l’harmonie, Neefe joignait les élémens du contrepoint. Partisan de la méthode du chant pur, qui consistait à donner pour matière au contrepoint des motifs librement pris dans les tons de la gamme, il exerçait son élève à faire marcher des parties dans un mouvement semblable ou contraire, à faire imiter par une partie le chant énoncé par une autre, à essayer les imitations spéciales que commandent les genres du canon et de la fugue.

Voilà ce que Neefe apprenait à Beethoven ; et il semble que cette science du contrepoint ne déplaisait pas au jeune musicien, car chacune des œuvres qui nous sont restées de cette époque témoigne d’un nouvel effort à introduire dans son tissu musical une polyphonie plus réelle.

Ce goût marqué pour le contrepoint n’est pas cependant sans nous surprendre un peu chez un élève de Neefe. Celui-ci était un maître sévère, nous l’avons dit : mais sa sévérité devait porter avant tout sur les leçons régulières de piano et d’orgue, et puis elle tendait principalement à corriger l’enfant de ce qu’il y avait en lui de présomptueux et d’indocile. Pour les principes mêmes de l’art, au contraire, Neefe était un homme de son temps : il respectait infiniment Bach, Hæendel, les saintes règles du contrepoint et de la fugue ; mais il leur préférait un développement plus facile, sinon plus libre, les règles alors en faveur de la sonate, toute cette gracieuse architecture de petites phrases délicatement nuancées, ramenées dans des tous déterminés, à des intervalles déterminés, avec les petites demi-conclusions, les cadences, etc. ; ce genre que Philippe-Emmanuel Bach avait inauguré avec son aimable génie, et que Haydn, Mozart, tant d’autres, s’étaient mis à pratiquer sous forme de sonates, duos, trios, quatuors, symphonies, etc. Aussi Neefe ne manquait-il pas de mettre plus de goût à ces conventions qu’à celles du vieux contrepoint rigoureux, qu’il se croyait pourtant obligé d’enseigner. Et il n’est pas impossible que Beethoven se soit attaché d’autant plus vivement à ces règles du contrepoint qu’il les voyait dédaignées par son professeur. Il devait garder jusqu’au bout une nature indépendante et rétive, impatiente de tout conseil : Haydn, Albrechtsberger, allaient bientôt en faire l’expérience. Il suffit qu’Albrechtsberger, avec sa méthode du confus firmus et la rigueur scolastique de ses principes, ait voulu le forcer à un contrepoint serré, pour que toutes ses œuvres témoignent, dès ce moment, d’un dédain croissant pour le contrepoint : jusqu’au moment où, vers 1808, il se vit obligé d’enseigner lui-même les élémens de la composition, et y trouva une occasion de revoir et de comprendre dans leur essence profonde ces règles que ses maîtres viennois lui avaient rendues odieuses.

Notre hypothèse relative à l’enseignement de Neefe est d’autant