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de toute réflexion profonde, ils donnent à des ombres de pensées la plus agréable et parfaite forme. Ils font des comédies avec des souvenirs de collège et le jargon des salons ; ils n’ont souci d’aucun des grands problèmes qui intéressent l’humanité et la société ; en soupçonnent-ils seulement l’existence ?

Ainsi s’explique que la comédie du XVIIIe siècle soit, au fond, si peu philosophique. Elle a suivi pas à pas le mouvement des esprits, elle ne l’a pas créé, elle ne l’a pas même sensiblement accéléré ; rarement elle l’a manifesté d’une façon originale et forte. Il n’y a rien au théâtre qui ressemble aux Lettres persanes ou à Candide, rien qui ait la portée de l’Esprit des lois ou de l’Essai sur les mœurs, le retentissement de la Nouvelle Héloïse ou de Paul et Virginie. Prenez toute l’œuvre comique de Voltaire : le moindre de ses dialogues a plus de sens. A vrai dire, il n’y a que Figaro qui compte à cet égard ; et là même tout est dans la forme et non dans la pensée ; mais cette fois la forme emportait le fond. Aussi tous les historiens du théâtre qui veulent rehausser la valeur philosophique des comédies du XVIIIe siècle sont-ils obligés de nous montrer non les œuvres elles-mêmes, mais leur représentation. En effet, plus certaines pièces, certains mots nous paraissent aujourd’hui vides ou pâles, plus l’enthousiasme qui les accueillit devient significatif ; mais ce succès ne nous révèle que l’état moral du public, qui, tout plein de certaines doctrines, en reconnaissait, en applaudissait les moindres traces. C’était en lui qu’était la philosophie. Il donnait plus à la comédie qu’il n’en recevait.

Quelle idée de l’homme et de la vie nous donneront tous ces littérateurs de salon ou d’académie ? Destouches nous dit qu’il faut être bon : ni glorieux, ni ingrat, ni ambitieux, ni dissipateur, ni irrésolu ; qu’il faut aimer la raison, la vertu, la médiocrité ; que le mariage est un état honorable, et que c’est un grand bien qu’une bonne femme. Excellentes leçons. Mais je me doutais déjà de tout cela, et cela n’ajoute pas grand’chose à la somme d’idées dont je dispose. Prenez les autres, Piron, Gresset, La Chaussée, Diderot même et Beaumarchais, et tous les ouvriers comme tous les ennemis de l’Encyclopédie, les disciples de Voltaire, comme les enthousiastes de Rousseau : vous n’en trouverez pas un dont on puisse exprimer une philosophie sérieuse, qui ait lait tenir dans son œuvre une conception large de la destinée humaine ou de la société. Les meilleurs au point de vue dramatique, Sedaine ou Marivaux, ne nous suggèrent rien sur ces hautes questions. Sedaine se maintient dans un optimisme un peu court : évidemment, il vaudrait mieux que tous les hommes lussent droits et simples, et bienfaisans comme Van Derk. Et quant à Marivaux, il ne nous fait pas même