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et drame, — dans la comédie elle-même est entré un certain esprit de libellé qui se marque par le mélange ordinaire de quelques scènes touchantes aux scènes purement comiques, d’une façon que l’Art poétique n’autorise pas, par une moindre aversion de la bouffonnerie et de la charge, enfin par une variété plus grande des sujets pris dans toutes les conditions et même dans l’histoire. Mais surtout sous cet épuisement apparent, la comédie que le XVIIIe siècle transmet à notre siècle contient les germes de l’avenir, qui paraîtront en leur temps.


II

Destouches, La Chaussée, Marivaux, Diderot, Mercier, Beaumarchais, voilà par quels noms se résume l’évolution de la comédie au XVIIIe siècle. Maintenant, si l’on regardait la beauté des œuvres, l’intérêt des images ou des idées qu’elles présentent, au lieu de six noms, j’en retiendrais deux : Marivaux et Beaumarchais, les deux qui précisément sont le plus isolés dans leur siècle, et qui, ne rappelant pas le passé, n’annonçant pas l’avenir, ne représentent vraiment qu’eux-mêmes. Ce n’est pas le lieu d’étudier Marivaux ; d’autres l’ont fait, et ici même, avec toute l’étendue que le sujet comporte et plus d’autorité que je n’en saurais prétendre. Je ne veux faire qu’une ou deux observations. Marivaux, a dit Sainte-Beuve, est plus solide et plus substantiel qu’on ne croit communément et que la forme de ses pensées ne ferait croire. Peut-être, en revanche, est-il moins dramatique qu’on n’a voulu le dire. C’est un charmant esprit, original, et qui fait penser à mille choses dont on ne s’aviserait jamais. Mais son théâtre est surtout fait pour être lu. Cela est manifeste pour ses pièces féeriques et allégoriques : ce sont de très spirituels dialogues et même dans ses comédies amoureuses, qui ont fait et qui entretiennent sa popularité, partout où il a réalisé dans sa pureté le type dramatique qu’il avait conçu, il est froid : cela manque de corps. On se rompt la tête à peser les expressions et les sentimens, à saisir les nuances, à distinguer les momens ; et toutes ces choses nous paraissent si indiscernables, si impondérables, que notre intelligence s’y épuise et s’y perd. On ne sait où s’accrocher, ni où l’on va, ni si l’on avance. Peut-être est-ce notre faute : nous sommes devenus trop brutaux, trop matériels, trop ignorons des finesses du beau langage Mais c’est un fait : allez entendre au théâtre la Surprise de l’amour si charmante à la lecture. Où Marivaux supporte le grand jour de la scène et ne s’évapore pas presque en entier pour nos sens trop peu subtils, c’est quand l’intrigue plus forte rend le mouvement sensible, quand les incognitos, les