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Martine ! ), se mêlent aux raisonnemens et aux maximes ; et quand tout le monde a bien expliqué les vertus et les vices en soi et dans les autres, l’auteur conclut et donne la moralité générale de la pièce. La comédie de Destouches n’est que l’Épître de Boileau distribuée par personnages. Où sont les caractères ? Promener à travers cinq actes un personnage qui réalise la formule de son rôle dans toutes les situations et qui provoque les remarques fines et piquantes des autres acteurs, ce n’est pas là créer un caractère. Cette idée abstraite, cette description raisonnée, peuvent suffire au moraliste : au théâtre, elles ne donnent pas la sensation du vrai ni de la vie. Destouches part de définitions générales, et de ses définitions il ne peut tirer que des dissertations. Il méprise la réalité ; il ne voit dans les travers et les ridicules contemporains qu’une mince et légère surface, mais c’est en effet l’affleurement des sentimens profonds et permanens. Que sert après cela qu’il aille choisir et combiner des incidens pour y ajuster, y recoller certaines façons de sentir et de penser ? Un caractère dans une action, ce n’est pas un tableau dans un cadre, c’est un homme dans sa peau.

Pendant que Destouches travaille avec plus de conscience que de-bonheur à maintenir la comédie de caractère, les comédies de genre, satiriques, spirituelles et glacées, pullulaient. Les gens du monde-aiment qu’on les occupe d’eux-mêmes. De plus, les écrivains, vivant dans les salons, n’ont sous les yeux que les mœurs de salon, où les caractères sont effacés sous le vernis uniforme du savoir-vivre. « Il ne reste proprement d’état dans un pays comme celui-ci que l’état d’homme du monde, écrivait Grimm, et, par conséquent, d’autre ridicule que celui de petit-maitre. » Ce fut, en effet, sur la scène, pendant tout le siècle, mais surtout avant 1750 ou 1760, un défilé de petits-maîtres pétillans et pincés, de toutes variétés : l’Homme du jour, l’Indiscret, le Babillard, l’Impertinent, le Méchant (M. Lenient a fait trop d’honneur à la pièce de Gresset, qui n’a que les prétentions d’une comédie de caractère et qui ne vaut, en effet, que par la peinture des mœurs d’un moment). On ne sort pas du monde : quand Palissot se hasarde dans le demi-monde, il a beau affadir et gazer, il fait scandale. La comédie est un salon : le monde n’y veut pas de mélange et en tient les portes bien fermées à toutes autres mœurs que les siennes.

Il faut faire une place à part à Marivaux et le loger seul en son coin. Non pas qu’il n’ait point d’ancêtres et de parens. Mais il a tiré d’une tradition banale une œuvre originale. Un goût de tendresse romanesque avait pénétré dans la comédie dès la fin du XVIIe siècle : en l’absence de caractères, les amoureux avaient passé au premier plan. On était revenu à Térence et à ses délicieuses mignardises ; on avait mis au théâtre les contes de La Fontaine et