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peinture spirituelle et satirique du monde et des caractères. Parmi les moralistes, Boileau encore était un maître, et proposait cette fois ses exemples, l’ironie courte, mais sans malignité de ses Epîtres et de ses Satires, la brièveté frappante de ses vers sentencieux, la justesse décente de ses dialogues, qui semblaient être parfois de vraies scènes de comédie. La Bruyère, plus vaste et plus complet, avait des qualités mieux appropriées encore au goût du public. Il faisait l’effet d’avoir écrit pour le XVIIIe siècle, par l’ingéniosité et l’imprévu de son style, par le tour piquant et original de sa ponsée. Cette ironie acérée, cet esprit qui avait autant de miroitement que d’éclat réel, ces dialogues pressés et vifs, ce style prodigieusement savant, tout en effets, où les mots prenaient un relief saisissant, cet art d’exprimer les caractères dans les particularités physiques, paraissaient répondre à toutes les conditions de la bonne comédie : il semblait qui ; le livre de La Bruyère fût un répertoire inépuisable de mots et de types comiques.

De Boileau procède la comédie de caractère du XVIIe siècle, tandis que la comédie de genre se rattacherait à La Bruyère. La première est représentée par Destouches, qui réagit contre la libre gaîté de Regnard et de Dancourt : avant d’être présent, avant d’être vrai, il veut être moral ; il se pique surtout d’être décent et instructif. Il le fut, c’est son mérite ; il ne fut que cela, c’est son défaut. Il ne doit rien à Molière que l’idée de l’utilité de la comédie, exprimée dans la préface de Tartufe. Au reste, Molière le dépassait trop pour qu’il le comprît. Il ne vit pas que Molière n’a peint les caractères qu’à travers les mœurs, qu’il faut passer par l’écorce pour aller au fond de l’âme humaine et qu’elle ne laisse saisir sa nature intime que dans ses manifestations sensibles. Au contraire, Destouches, qui n’avait pas le don de l’observation profonde, crut pouvoir créer des caractères sans exprimer les mœurs qui les contiennent et les soutiennent. Il s’imagina qu’il pouvait les combiner abstraitement, les construire en l’air et les priver de toute réalité, sous prétexte de la généralité qu’ils devaient avoir. Il prit pour maître Boileau, il en imita les procédés d’expression et de description et sema sa comédie de vers proverbes, où sont enfermées beaucoup de vérités morales. Ses personnages dissertent sur les conditions et les humeurs des hommes ; ils en connaissent les faiblesses, les travers, les inclinations ; ils mettent leur expérience en maximes universelles. Ils pensent par impératifs catégoriques. Ils se détachent d’eux-mêmes et raisonnent sur leur rôle : ils savent la loi de leur caractère et en font leur règle de conduite. Un ambitieux, pour résister à l’amour, se dit qu’il est ambitieux et que toutes ses actions doivent être des effets de l’ambition. Les portraits, ingénieusement composés pour les soubrettes (nous voilà bien loin de