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saurait se léguer : au lieu que les talens très distingués de Regnard, Le Sage et Dan court, ne sont point tellement supérieurs au temps qui les produit, qu’ils n’en découvrent à plein le véritable caractère. Ce qui me déconcerte, c’est la fin du livre, et non le début. Ne se terminait-il pas très bien sur Fabre d’Eglantine, ce disciple enfiellé de Rousseau, et sur Mercier, par qui le mélodrame se rattache à Diderot ? A quoi bon ces deux chapitres sur la comédie politique et sociale au temps de la Révolution qui ne se rattachent à rien ? La plupart des pièces révolutionnaires sont en dehors de la littérature, comme le Père Duchesne et les écrits de Marat : loin d’être de la poésie dramatique, ce n’est même pas du journalisme. Tout au plus pouvait-on signaler à propos de Voltaire, de Palissot et de Beaumarchais, à quels excès indignes ils frayaient la voie en abusant comme ils faisaient de la comédie. Mais, puisque le livre se clôt par là, est-ce donc à cela qu’aboutit le développement de la comédie, le travail de tout un siècle spirituel et passionné ? Si sévère qu’on soit pour le XVIIIe siècle et pour son théâtre, cela n’est point, et ce n’est pas non plus de ce bourbier qu’est sortie notre littérature dramatique. Les deux siècles communiquent par-dessus ces horribles ou dégoûtantes platitudes ; quelques noms, quelques œuvres continuent de l’un à l’autre la tradition comique, sans que le Mariage du pape ou le Jugement dernier des rois y soient pour rien.


I

La comédie du XVIIIe siècle vaut peut-être surtout, au moins pour nous, par son importance historique : elle prépare celle du XIXe siècle. Sans elle nous ne saurions passer de Molière, de Regnard, de Dancourt, à MM. Augier, Dumas et Sardou : Scribe même n’était pas possible, ou ne serait pas intelligible ! De là l’intérêt singulier que prennent pour nous les œuvres comiques du XVIIIe siècle, et l’on verra que les plus oubliées, les plus ennuyeuses sont parfois les plus précieux anneaux de la chaîne.

Ce qu’il faut se demander d’abord, c’est en quel état le XVIIIe siècle reçoit la comédie, quelles habitudes, quel esprit régnaient sur la scène. En dépit du raffinement et de la politesse qu’on lui attribue, mais qu’on explique mal, en dépit ou plutôt à côté de ce goût qu’on lui a tant reproché pour le grand, le noble et le pompeux, le XVIIe siècle avait aimé le comique pittoresque, haut en couleur, les types excentriques, les charges grotesques : il se souciait médiocrement de la morale. L’esprit pousse alors dans tous les sens : s’il outre la délicatesse des sentimens et la finesse du langage, il ne répudie pas la franchise éclatante du rire, le mot plaisamment cru,