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chapitre pour Florian, c’est beaucoup, quand Diderot n’en a qu’un, et Mercier un demi. J’ai peine à admettre que dans l’histoire de la comédie, l’opéra comique doive tenir autant de place que Beaumarchais, plus que Marivaux. Ces paysanneries d’une naïveté apprêtée, d’une sentimentalité mièvre, d’une malice inoffensive, ces petits drames larmoyans dont l’émotion dès le premier jour est frelatée, pourraient tout au plus être invoqués comme des marques de la diminution du goût et du sérieux dans le public français : sans compter que l’opéra comique n’appartint qu’un jour à la littérature, qui depuis longtemps n’en revendique plus les livrets. On peut écrire deux études sur la comédie au XVIIIe siècle : l’une qui s’attachera à la beauté des œuvres, à leur richesse d’impressions, à l’intérêt des idées qu’elles suggèrent ; et alors ce n’est pas deux volumes qu’il faut écrire ; on peut négliger Desmahis et Panard, et même Collé ; on retiendra deux ou trois noms, et l’on écrira une centaine de pages. Ou bien l’on fera l’histoire de l’évolution du genre comique au XVIIIe siècle, et je ne vois pas encore à quoi servent Barthe et Saurin, et d’Allainval, et Piron. Je vois surtout en quoi ils nuisent ; qu’importe même que Voltaire ait fait des comédies ? Le sens, le rythme, et tous les caractères du mouvement apparaîtront mieux, quand il sera comme dessiné par les seuls noms de ceux qui en ont réellement modifié la vitesse ou la direction. Un peu de système n’aurait pas nui peut-être pour déterminer un choix parmi cette suite d’auteurs qu’on voit défiler dans le livre de M. Lenient, pour mesurer à chacun la place selon son mérite, pour marquer plus nettement les parentés et les écoles, de façon que Beaumarchais ne soit pas séparé de Diderot par Marivaux, d’Allainval, et tout ce que M. Lenient appelle les éphémères, par Voltaire, Palissot, et Collé, enfin par quatre-vingts pages de l’opéra comique : ce qui en général est aussi contraire à la chronologie qu’à la philosophie du sujet. Je me demande aussi s : il n’aurait pas mieux valu délimiter autrement le sujet. M. Lenient commence à Regnard et finit aux vaudevilles qui célèbrent le 18 brumaire : où est l’unité là-dedans ? Le XVIIIe siècle, pour l’histoire et pour la littérature, ne s’étend pas de 1700 à 1800 : une époque finit en 1715, avec Louis XIV ; une époque commence en 1789, avec la Révolution : le XVIIIe siècle occupe l’intervalle. Donc Regnard qui meurt en 1709, Le Sage qui donne Turcaret la même année, Dancourt qui n’écrit rien d’important après 1715, sont vraiment du xvu0 siècle. Il est vrai pourtant que M. Lenient, en commençant par eux, a pris un point de départ excellent : rien ne saurait mieux montrer que ces trois auteurs ce que le siècle finissant transmet au nouveau siècle. Molière serait trop grand ; et il y a dans son œuvre quelque chose d’incommunicable qui ne