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habituellement recherché qu’alors ni prêté de meilleure grâce ; jamais sa juste influence ne fut mieux respectée par l’administration, comme par le public. Le temps était loin encore où, sous prétexte d’affranchir l’art, on essayerait de transformer en despotisme la tutelle exercée par l’Académie où, de peur d’être à bon droit gêné par elle, on feindrait de se défier de son indépendance et de confondre sa prudence avec l’inertie, les hautes doctrines et les traditions qu’elle personnifie avec les résistances de l’esprit rétrograde.

Quoi de plus naturel, d’ailleurs, que la confiance dans les lumières d’un corps composé, au temps de la Restauration, comme il l’était auparavant, comme il l’a toujours été depuis lors, de l’élite des artistes appartenant à notre pays ? Et quant à l’étendue de ses attributions mêmes, quoi de moins équivoque que les termes des statuts qui lui prescrivaient d’encourager les talens de tout âge et de toute origine, d’appeler l’attention du gouvernement sur les améliorations à introduire dans l’organisation des établissemens d’art ou dans l’enseignement, sur les découvertes pouvant devenir profitables aux progrès des arts ou des industries qui s’y rattachent, etc. ?

L’Académie, par exemple, était assurément dans son rôle lorsque, avant la fin de 1816, elle adressait au ministre de l’intérieur un rapport détaillé sur les procédés alors tout nouveaux de la lithographie : procédés à l’examen desquels elle venait de consacrer plusieurs séances, que quelques-uns de ses membres mêmes avaient personnellement expérimentés et dont, entre autres avis utiles, elle recommandait particulièrement l’emploi pour l’exécution des modèles de dessin à répandre dans les collèges. Bien que, à l’époque où l’Académie prenait auprès du pouvoir cette initiative officielle, certains dessinateurs français, — Denon, entre autres, et un ancien élève de David, Bergeret[1], — eussent déjà pour leur propre compte essayé de la lithographie, le moyen n’était encore ni apprécié à sa valeur, même par ceux-là qui s’en étaient servis, ni à vrai dire connu du public. Sa popularité date donc du moment où les avantages qu’il comporte furent signalés par l’Académie, et les entreprises que tentaient alors l’imprimeur Engelmann et M. le comte de Lasteyrie formellement encouragées par elle[2].

  1. Il existe de la main de Bergeret quelques croquis sur pierre, dessinés dès l’année 1804 et dans le cours des deux années suivantes ; mais ce ne sont que des essais presque informes, de simples charbonnages, comme ceux que deux ou trois autres peintres ou dessinateurs traçaient un peu plus tard, à l’aventure en quelque sorte, et sans paraître même soupçonner les vraies ressources du procédé dont ils usaient.
  2. Par une lettre en date du 9 novembre 1816, M. Engelmann, directeur, à Paris, de la Société lithographique de Mulhouse, exprimait aux membres de l’Académie des Beaux-Arts sa gratitude pour l’appui qu’ils voulaient bien lui prêter. Et M. Engelmann ajoutait : « En entrant dans une carrière toute nouvelle où j’ai à surmonter des obstacles sans nombre, il m’est bien doux, messieurs, de voir mes efforts approuvés et encouragés par des maitres tels que vous. Convaincu par votre assentiment de l’utilité de l’art que je viens d’introduire dans notre patrie et soutenu par vos conseils, j’espère approcher de plus en plus de la perfection… »