Sans doute, — nous avons eu l’occasion et le devoir de le constater dans une autre partie de ce travail, — les richesses d’art mises en notre possession à la fin du dernier siècle ne nous avaient pas été livrées dans des conditions telles que la morale historique et le droit n’eussent eu au fond à en souffrir. L’exemple donné semblait en principe autoriser les représailles, et les vaincus d’autrefois, devenus les vainqueurs à leur tour, pouvaient bien à la rigueur vouloir user de leurs avantages pour rentrer après tout dans leur bien. D’où vient pourtant que, à l’époque de la première Restauration, ils n’aient rien témoigné de leurs intentions sur ce point ? Bien plus : comment, sans leur assentiment exprès, Louis XVIII aurait-il pu dire dans le discours qu’il adressait au Corps législatif, le 4 juin 1814 : « Ce que la France ne garde pas de ses conquêtes territoriales ne doit pas être considéré comme retranché de sa force réelle. La gloire des armées françaises n’a reçu aucune atteinte ; les monumens de leur valeur subsistent, et les chefs-d’œuvre des arts nous appartiennent désormais par des droits plus stables et plus assurés que ceux de la victoire ? » N’y avait-il pas là une déclaration sans répliques, une consécration qu’on devait croire irrévocable de ces « droits » que, apparemment, les étrangers eux-mêmes nous reconnaissaient, puisqu’ils ne songèrent nullement alors à démentir le langage du roi et à rien revendiquer des richesses enlevées autrefois à leurs pays, au profit de nos musées et de nos bibliothèques ? Enfin, le traité de paix du 30 mai 1814 ne garantissait-il pas implicitement à la France la conservation de ces richesses, puisqu’il ne contenait aucun article qui en prescrivit l’abandon ?
En 1815, tout était bien changé. Dès le 3 juillet, dans une des conférences que tenaient à Saint-Cloud les chefs des armées alliées et les commissaires français chargés de défendre les intérêts de Paris, le feld-maréchal Blücher et le duc de Wellington s’étaient opposés à ce qu’il fût fait une mention spéciale du Musée dans l’article qui stipulait l’inviolabilité des propriétés publiques[1]. Blücher avait nettement déclaré pour son compte qu’il a reprendrait dans le Musée tout ce qui était prussien. » Il entendait par là non seulement les tableaux transportés de Berlin à Paris, mais ceux aussi qui provenaient des provinces allemandes et des départemens français de la rive gauche du Rhin cédés à la Prusse par les traités de Paris et de Vienne. Quant à lord Wellington, tout en reconnaissant que la question n’intéressait pas directement l’Angleterre, puisque celle-ci n’avait pas été atteinte dans ses possessions, il réclamait en foreur de la Belgique, de la Hollande et de plusieurs
- ↑ Voyez Collection des dépêches et ordres du jour du lord Wellington. — Édition de Bruxelles, n° 983 et 997.