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d’innombrables fils télégraphiques. Il est le point terminal auquel viennent aboutir tous les battemens des artères, d’où partent toutes les pulsations. Ainsi il dirige, joueur invisible, les pièces multiples de cet échiquier démesuré ! Une fois disposées, elles se meuvent d’ailleurs d’une marche lente, progressive et régulière. Il gradue leurs efforts, pousse les unes, retient les autres. Les détails lui échappent.

Mais la cavalerie ne peut subir la règle commune. Puisant sa principale force dans sa mobilité, dans sa vitesse, elle ne saurait s’accrocher en un point fixe ; par suite, attendre ou provoquer des ordres. Du généralissime elle a reçu des instructions générales ; elle recouvre alors son indépendance. D’elle-même, de l’œil vigilant de ses reconnaissances, elle suit pas à pas le développement du drame ; d’elle-même, elle doit saisir le moment propice, puis, d’un essor soudain, se ruer sur sa proie, la prendre à la gorge ! Pour règle unique, elle a cette magnifique maxime, formulée par un de ses généraux les plus autorisés, inscrite depuis dans ses règlemens : « le chef de cavalerie n’oubliera pas que, de toutes les fautes qu’il peut commettre, une seule est infamante : l’inaction[1]. »

Cependant un premier obstacle se dresse et une première lutte s’impose. La cavalerie ennemie, elle aussi, rôde sur les ailes ; elle aussi est ardente à remplir sa tâche. Pour acquérir la liberté d’action, il faut avant tout se débarrasser de cette rivale acharnée. déchirer cette « tunique de Nessus » collée aux flancs ! Encore une fois, le combat des deux cavaleries devient la garantie première de leurs succès ultérieurs. C’est quand elles ont joué cet inévitable prologue, qu’elles peuvent seulement prendre part à l’acte suprême : à l’événement.


… En divers points de la ligne, par lassitude, par recueillement, par épuisement des munitions, la fusillade s’est ralentie. En d’autres, elle redouble d’intensité. Les réserves arrivent en ligne ; la tension des combattans a atteint ses dernières limites. Il est temps d’en finir.

Et voilà que soudain, au centre ou sur une aile, suivant l’inspiration du généralissime, éclate une formidable tempête : canonnades et fusillades mêlées, continues, profondes. C’est l’artillerie qui couvre de feux le point objectif ; ce sont les réserves qui donnent !

  1. Projet d’instruction de la cavalerie en liaison avec les autres armes, décembre 1879.