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revers[1]. Mais à cette réaction féconde il n’y eut qu’une sanction : Waterloo. Les théories élaborées au lendemain du grand drame militaire s’évanouirent avec son souvenir même. En 1870, il n’en fut plus question. Vaincus, nous eûmes l’humiliation suprême de voir la cavalerie allemande faire elle-même son procès et convenir que, si elle n’eût pas commis de fautes, elle nous eût battus plus complètement encore : « Nulle part, écrit un de ses historiens les plus compétens, on ne mit immédiatement à profit le résultat tactique, parce que la cavalerie se trouvait sur des points où elle n’avait que faire, parce qu’elle s’y cramponnait obstinément malgré les différentes péripéties du combat, ou encore parce qu’elle arrivait trop tard sur le champ de bataille[2]. » Et un peu plus loin il s’écrie. : « Où la cavalerie allemande a-t-elle été employée en divisions comme corps de combat ? A-t-il été fait autre chose que des charges partielles qui, en raison de la situation générale et des dispositions particulières, devaient échouer et auraient échoué à n’importe quelle époque ? Sans doute, quand on confie la conduite si difficile de cette arme et la solution délicate des problèmes tactiques à des hommes au-dessous des exigences de leur position, comme c’était le cas pour tous les commandans de divisions en 1870-1871, il ne faut pas s’étonner du fiasco. On pourrait, au contraire, bien plutôt s’étonner si, dans de pareilles circonstances, il avait été fait davantage[3]. »

Où trouver un plus dur aveu et en même temps un plus précieux enseignement ? Toute cavalerie qui arrive trop tard renonce, par avance, à jouer un rôle décisif. Elle ne poursuit plus un but d’ensemble, mais l’accomplissement d’une mission abstraite, restreinte et la plupart du temps désespérée. Ce peut être de l’héroïsme ; ce n’est plus de la tactique.


… Cependant la bataille bat son plein. Les cadavres s’accumulent et l’instant est proche où cette masse d’hommes, énervée, haletante, affolée, sera bien obligée de quitter son immobilité sanglante pour se précipiter en avant ou en arrière, suivant que l’emporteront l’enthousiasme ou la terreur. Du sens de cette impulsion dépend la victoire.

Tous les grands généraux ont eu la perception nette de ce point culminant et décisif. Le premier homme de guerre du siècle,

  1. Colonel Kœhler. Histoire de la cavalerie prussienne de 1806 à 1876.
  2. La Division de cavalerie dans la bataille, par Becker. Berlin. 1884.
  3. Ibid.