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divisions de sa cavalerie, avait précédé les corps de bataille. Bien avant leur arrivée, elle nous avait enveloppés d’un cercle de feu. La cavalerie française, demeurée immobile, ne sut que sauver son honneur à la fin de la journée. Depuis, le principe rationnel de grouper l’artillerie en tête des colonnes, pour lui ménager une rapide entrée en scène, a été universellement admis. Il est consacré par une nouvelle répartition des batteries dans les dispositifs de marche. Les manœuvres de masses de l’artillerie répondent d’ailleurs à cette tendance. C’est sous la protection de leurs canons que se déploieront des armées[1].

À ce moment solennel, la cavalerie est seule arrivée sur le champ de bataille. En arrière, les têtes de colonnes de l’infanterie commencent à se déployer. L’instant est proche où ces masses d’escadrons, progressivement resserrées entre les deux armées, devront dégager le front de combat. Mais auparavant vont-elles rester immobiles l’une en face de l’autre, près de ces batteries meurtrières dont la voix à la fois les menace et les attire ? Vont-elles se retirer sans tenter au moins de les réduire au silence, sans essayer de surprendre ou de retarder les colonnes qui débouchent ? Ici, la grandeur du but dépasse la difficulté de l’entreprise ; le péril que la cavalerie affronte n’est pas égal à la gloire qu’elle doit recueillir. Si elle est entreprenante et audacieuse, elle peut, comme à Custozza, jeter les germes d’une victoire.


Mais l’infanterie, à son tour, est entrée en scène. Déjà ses lignes de tirailleurs, soutenues en arrière par d’innombrables bataillons, se sont déployées. A la note grave des canons vient s’ajouter le crépitement de la fusillade, — accord intermittent et étrange dont le rythme, parfois, se ralentit, s’éteint, pour reprendre, par places, en un renforcement subit. — Alors, de véritables torrens de projectiles balaient la plume ; et, dans les intervalles de ce grondement continu, on commence à entendre cette clameur stridente, prolongée — cette clameur horrible de la souffrance et de l’effroi ! — qui s’élève des blessés et des mourans !

Entre ces deux lignes de feux dont l’intensité va toujours grandissant, il n’y a plus place pour la cavalerie. Mais, frémissante, surexcitée par les rumeurs et les émanations troublantes de la bataille, elle est là, sur les ailes, guettant l’occasion d’intervenir.

  1. « Si, comme cela s’est vu souvent, l’artillerie, dès le début de la lutte, s’avance vivement et témérairement, la cavalerie peut remporter sur cette arme de véritable succès. » — (Prince Hohenlohe, Lettres sur la cavalerie.)