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maniement plus difficile ; déjà impuissans à diriger le tir pendant le combat, la plupart des officiers d’infanterie ne pourront même plus régler la dépense des munitions. Ils prévoient qu’aux instans critiques le feu rapide échappera à toute méthode, à tout contrôle, et que, si une irruption de cavalerie vient alors à surprendre leurs troupes, ils n’en pourront plus maîtriser l’émotion. Alors peu importe que ces hommes aient entre les mains des fusils perfectionnés ou de simples bâtons. L’imprévu, la terreur les paralysent ; ils sont incapables de s’en servir. Suivant l’expression pittoresque du maréchal de Saxe, « on les chasserait avec des vessies. »

Sans doute, les règlemens refusent d’admettre l’éventualité de pareilles surprises. Mais les règlemens reposent sur la conception d’un être artificiel et parfait, inaccessible aux faiblesses humaines, à l’émotion, au trouble, à la terreur.

L’histoire de toutes les guerres proteste contre cette doctrine officielle ; elle montre qu’à toutes les époques les chefs ont commis des fautes, les troupes ont éprouvé des défaillances. Les progrès de l’armement ne peuvent changer la nature de l’homme. Et aussi longtemps que ce dernier restera le principal facteur du combat, aussi longtemps la cavalerie pourra répéter cette profession de foi que lançait, au lendemain des guerres de l’Empire, le vieux feld-maréchal de Wrangel. « Non ! l’espoir d’accomplir des hauts faits ne s’évanouira pas tant que les champs de bataille présenteront des terrains inégaux, couverts et permettant la surprise ; tant que les nuages de poudre voileront le combat, tant que le bruit de la bataille et le danger priveront de décision les esprits relativement faibles, tant que nos adversaires resteront des hommes auxquels l’approche d’une charge bien liée ne fera pas l’effet d’une cible[1]. »

Aussi bien, consultons les généraux qui ont fait la guerre, ceux surtout appartenant à des armées étrangères dont il nous importe de connaître l’opinion. En Allemagne, le prince Frédéric-Charles[2], von der Goltz, le prince de Hohenlohe, en Italie le général Roselli[3], Skobelef en Russie[4], le général de Gallifet en France[5], tous tiennent le même langage, tous professent une foi invincible en la puissance de la cavalerie. C’est qu’ils ne peuvent séparer

  1. Koehler : Histoire de la Cavalerie prussienne de 1806 à 1876.
  2. Instructions sur les grandes manœuvres
  3. Études et propositions sur la cavalerie.
  4. « Pour un cavalier digne de ce nom, c’est un axiome qu’un bon cheval monté par un cavalier vigoureux est une arme tellement puissante qu’il n’est point d’infanterie ou d’artillerie capable de lui résister. » — (Dernier ordre du jour de Skobclef.)
  5. Projet d’instruction de la cavalerie en liaison avec les autres armes.