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leurs antennes s’accrochent. L’une ne peut plus faire un mouvement sans que l’autre tressaille. Il est trop tard pour échapper à l’étreinte. Encore quelques pas et les deux monstres seront aux prises.

Quelle sera, dans cette collision grandiose, la participation de la cavalerie ?

De tous les rôles de cette arme, celui d’intervention sur les champs de bataille est le plus discuté. Il n’est pas de propriété qu’on lui ait plus systématiquement déniée, sans que, pour sa part, elle ait cessé un seul instant de la revendiquer avec ardeur. A satiété, on a dit ou écrit que les perfectionnemens indéfinis des armes à feu, les progrès accumulés de la balistique condamnaient les fortes masses de cavalerie à l’impuissance, opposaient une infranchissable barrière à l’attaque au sabre, à la charge.

Mais quand on se livre à une enquête approfondie sur la valeur de ces assertions, on est étonné de constater qu’elles reposent le plus souvent sur une argumentation didactique, rarement sur une analyse exacte des faits. Si, en effet, de l’étude des campagnes, on cherche à dégager les causes qui, à certaines époques, ont étendu ou amoindri le rôle de la cavalerie, on trouve que ces causes n’ont pas une relation étroite avec les variations de l’armement, mais qu’elles dépendent presque uniquement des principes qui ont présidé à l’éducation et à l’emploi de cette arme, en un mot, du caractère de ton commandement.

Cet enseignement éclate lumineux, d’un bout à l’autre de l’histoire. S’il en était autrement, la cavalerie sous Frédéric eût joué un rôle plus effacé que sous Charles-Quint et les escadrons du premier Empire eussent remporté des succès moins brillans que ceux de Louis XIII ou Louis XIV. En réalité, la valeur de cette arme apparaît dégagée des considérations habituellement invoquées par ses détracteurs. Elle ne se règle pas sur la puissance des feux. La cavalerie périclite quand elle manque d’entraîneurs ; elle se relève quand à sa tête se trouvent des chefs ayant une perception nette de son rôle et de son emploi. Tels Annibal, Frédéric, Napoléon, qui, plus que ce dernier, fit parvenir cette arme à son apogée ? Cependant les fusils portaient plus loin et plus juste que du temps de Charles XII ou de Gustave-Adolphe. Mais, désireux de s’en servir, ayant en elle la foi qu’il lui inspirait à elle-même, sachant la comprendre et non la ménager, il la plaçait toujours dans les meilleures conditions pour intervenir et la confiait à des généraux capables de la vigoureusement employer. Aussi à Marengo, à Aspern, à Eylau, à Borodino, elle décide presque en souveraine du sort de la journée.