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manifestations, des écarts considérables dans leur application, les grands principes de la guerre ont-ils, en réalité, varié dans les limites tellement restreintes, qu’entre ce qu’écrivait l’empereur Léon au IXe siècle et ce qu’enseigne un professeur de l’école de guerre en 1889, il n’y a que la différence de la forme et du cadre. La cavalerie offre particulièrement l’exemple d’une immuabilité originelle. A l’homme, cet élément invariable, vient s’ajouter le cheval, sorte d’arme animée et vivante, également soustraite aux influences scientifiques. Sur cette entité formée par le cavalier, il serait vain de discourir. On n’en modifiera ni le caractère ni la substance. On se retrouvera toujours en face de deux facteurs primitifs et simples : une énergie morale et une force matérielle, une résolution et un choc. Les progrès de la balistique n’y changent rien. Frédéric et Napoléon n’employèrent pas leur cavalerie autrement que l’avaient fait Alexandre et Annibal. Malgré les progrès accumulés des siècles, ils en tireront des résultats égaux, sinon supérieurs. Cela est concluant.

Ainsi, le fond de la tactique de la cavalerie échappe à toute transformation. Le mode et la mesure de sa participation à la guerre seuls varient. Il s’agit de rechercher comment ils vont s’adapter à un cadre nouveau et considérablement agrandi.


Un mot caractérise la guerre moderne : ce sera la guerre de masses ; c’est-à-dire, au début, une accumulation puissante et prompte de toutes les forces vives de la nation, venant s’amasser en une zone soigneusement préparée, abondamment approvisionnée, et derrière laquelle se développe tout un système de voies ferrées, véritable réseau veineux reliant les extrémités au centre, les armées au cœur de la patrie[1].

À cette phase déconcentration succédera la marche d’approche échelonnées en profondeur, évoluant sur un front relativement restreint, n’ayant pas encore l’espace nécessaire pour les exécuter de vastes mouvemens les deux armées s’avanceront l’une vers l’autre en une sorte de poussée brutale. Puis, l’immense choc aura lieu. Des centaines de mille hommes se heurteront sur des champs de bataille démesurés. Dès lors, la scène change, les horizons

  1. « Les grandes nations mettent en campagne plus de vingt corps d’armée. Pourquoi ces forces ne se trouveraient-elles pas réunies presque au complet dans les plaines où se décidera le sort des nations ? Ni Gravelotte, ni Kœniggratz, ni Leipzig, qui sont cependant les plus grands champs de bataille du siècle, ne permettent de se figurer ce que sera alors le champ de bataille. Sur des lignes longues de plusieurs myriamètres combattront côte à côte, non plus des corps d’armée, mais bien des armées entières. Cette bataille des nations est encore pour nous une énigme. » — Baron von der Golyz, la Nation armée.)