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sont ni des indifférens ni des ignorans, mais des généraux, des chefs dont quelques-uns ont par devers eux un long passé d’expériences ou d’études, également ardens, également convaincus. Même dans nos rangs, on hésite. Et si tous les cavaliers s’accordent à revendiquer une large part d’action, plusieurs diffèrent sur le mode d’emploi. Animés du même désir d’accomplir leur mission, ils n’envisagent pas tous leur rôle sous le même aspect.

En dehors de l’armée, le point de vue change. On n’accorde guère à la cavalerie qu’un crédit restreint et qu’une sympathie platonique. On s’accoutumerait volontiers à ne Voir en elle que le dernier refuge de l’esprit chevaleresque, de la poésie de la guerre. À ce titre, elle plaît. On résume l’ensemble de ses qualités particulières par un mot à la mode : « l’esprit cavalier. » Pour nombre de gens, cela suffit. Les plus avisés conviennent bien qu’elle est nécessaire pour couvrir et éclairer les armées, mais ils ne vont pas jusqu’à rechercher le sens précis de cette large formule. Les manœuvres de masses trouvent grâce par l’enthousiasme et l’entrain qu’elles suscitent ; leur objectif pratique échappe.

Ce compromis, si bienveillant qu’il soit, n’est digne ni de ceux qui l’accordent, ni de ceux qui l’acceptent. La cavalerie n’a pas besoin, pour justifier son développement et ses tendances, d’argumens de fantaisie. A la veille d’événemens toujours différés, mais toujours imminens, des considérations autrement positives et graves doivent présider à ses destinées. Il est temps d’adopter une doctrine unique, une orientation définitive, et d’approprier son organisation et son instruction à un rôle nettement défini.


I

L’art de la guerre devient de jour en jour plus vaste et plus compliqué. Par les immenses effectifs mis en jeu et par les approvisionnemens qu’ils réclament, par le développement et la variété des engins de destruction ou de protection, il touche à la fois aux questions sociales, économiques et industrielles.

En même temps que le cadre s’est élargi, la perspective s’est voilée. Les sciences militaires ont pris une telle extension qu’on peut à peine, après de longues années d’études, les embrasser dans tous leurs détails. Encore chaque nouvelle invention y apporte-t-elle des modifications profondes. C’est un progrès incessant et indéfini.

Un objectif aussi considérable exige des efforts communs. Par un merveilleux accord des voies et moyens, leur diversité doit se fondre en une unité puissante. Aucune force ne doit s’égarer en