Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et des vérités sociales, mais la révélation des plus hautes tendances métaphysiques essentielles à un être pensant qui conçoit l’univers. La philosophie contemporaine, loin de ridiculiser l’instinct moral, tend de plus en plus à le justifier, car elle y découvre une intuition presque infaillible des lois les plus profondes de la vie. Au lieu de voir dans la pitié une « illusion, » elle y voit au contraire le premier et le plus sûr moyen de dépouiller l’illusion du moi isolé et se suffisant à lui-même. Le respect n’est pas « la plus sotte de nos ignorances, » pas plus que l’admiration du beau et le dégoût du laid ; il est un effet analogue au sentiment du sublime, produit par ce qu’il y a d’infini et, en dernière analyse, d’insondable en toute vie sentante et consciente, en toute intelligence capable de concevoir l’univers. Le remords n’est pas « la plus niaise des illusions, » mais la conscience douloureuse d’une difformité mentale qui, en se concevant, se juge et, en se jugeant, peut par cela même se reformer. Il ne suffit pas de supprimer la notion ordinaire du libre arbitre, ni celle du « Père céleste, » pour supprimer du même coup toute hiérarchie entre les êtres, toute distinction de supériorité et d’infériorité, de beauté et de laideur, de raison et de folie, de santé morale et de maladie morale. Même dans le monde physique, où la santé et la maladie sont d’ordinaire fatales, elles ne sont pas pour cela équivalentes ; à plus forte raison dans le monde moral, où justement la santé et la maladie peuvent réagir sur elles-mêmes par l’idée et le sentiment d’elles-mêmes. C’est donc redescendre au vieux fatalisme des mahométans que de dire : — « Il faut accepter l’inévitable dans le monde intérieur comme dans le monde extérieur, accepter son âme comme on accepte son corps ; » non, le jugement que nous portons sur notre âme la modifie, et nous avons là un point d’appui pour ce levier intérieur qui est la volonté. Il y a en nous des choses que nous pouvons accepter, que nous pouvons refuser. C’est encore tomber dans le sophisme paresseux que de dire : — « Je ne lutterai pas contre moi-même, je m’abandonnerai à des événemens intérieurs dont la série est déterminée ; » — car, d’abord, nous ignorons ce qui est déterminé, et de plus, nous faisons partie des agens mêmes de cette détermination, dont nous pouvons modifier en nous le cours par cela même que nous en concevons la possibilité. « Si le mécanisme, s’écrie M. Bourget, pouvait lui-même modifier ses rouages et leur marche ! » — Précisément il le peut, par l’idée et le désir qu’il en a. — « Changer quoi que ce fût dans une âme, ce serait arrêter la vie. » — Au contraire, changer et se changer, c’est la vie même, la vie des êtres intelligens et sentans. La psychologie contemporaine n’est donc pas plus responsable des vivisections d’âme que pourrait se