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à la dernière heure sont d’un homme déjà mûri par les épreuves, ces Lettres ne sont point sans doute un document extraordinaire ni par les révélations, ni même par la forme littéraire ; elles n’ajoutent rien à l’histoire. Elles ont, dans leur libre familiarité, ce mérite et cette originalité de raviver l’image d’un prince fidèle à ses amitiés, impatient d’action, idéaliste et romantique, avant tout fils passionné de son temps, de la révolution et de la France. C’est une personnification de la jeunesse de 1830.

On ne sait trop ce que veut dire ce prince héritier d’une monarchie nouvelle quand il prononce ce mot magique de révolution sous lequel peuvent se déguiser tant de choses. Il ne le comprenait pas sûrement comme les révolutionnaires : il l’entendait à sa manière, en jeune homme de sa génération, élevé avec ses contemporains, remué dans sa libre intime et dans son ambition de famille par les événemens de 1830, épris d’un certain idéal de perfectionnement et de progrès. Il se sentait de son temps, il le devançait même peut-être par la hardiesse de ses instincts, par un sentiment assez vif des nécessités d’une société nouvelle. Bien qu’il mît une sorte d’affectation à s’effacer, à rester étranger aux affaires politiques et ministérielles du jour, se liant à l’habile sagesse du « père » pour tout conduire, il n’avait pas moins ses opinions. Il avait visiblement peu de goût pour les doctrinaires, qui ne disaient rien à son imagination. Il restait un libéral du « plus pur tricolore, » répugnant à toute contre-révolution, et même dans les momens les plus critiques, sous le coup de quelque attentat, il admettait naturellement qu’on châtiât les coupables ; en ajoutant aussitôt : « Justice, mais pas de réaction ! » Il ne croyait pas que le dernier mot du régime constitutionnel pour lequel la France avait combattu fût dans un assaut d’éloquence à la tribune de la chambre ou dans les intrigues de couleurs pour la conquête d’un ministère, pas plus que dans une exploitation égoïste et exclusive de la victoire de 1830. Un jour vient même, après quelques années, où il ne craint pas d’écrire à sa sœur, la reine des Belges : « Je suis de ceux pour qui la révolution de juillet n’a pas produit tout ce qu’ils en avaient attendu… La classe que la révolution a élevée au pouvoir fait comme les castes qui triomphent : elle s’isole en s’épurant et s’amollit par le succès. »

Assurément le duc d’Orléans gardait à travers tout l’orgueil de sa race ; il avait aussi ce sentiment profond, avoué à chaque page, que « dans un temps où le travail est la loi commune, » les princes eux-mêmes ne peuvent plus rester oisifs, qu’ils doivent conquérir ou assurer leur position, comme il le dit, « à la sueur de leur front. » Il faisait sa position, quant à lui, par les voyages, par l’étude, en homme attentif à tous les mouvemens de l’opinion, persuadé que la révolution de 1830 avait encore beaucoup à faire à l’intérieur ; mais la passion dominante de ce prince de la jeunesse de 1830, — on le sent dans ses Lettres, —