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n’a-t-il pas insisté sur le « côté mobile, maladif, maniaque, presque vicieux dès l’enfance, du caractère de son triste héros ? » Adrien Sixte n’est donc pas « la cause des instincts de mensonge, de sensualité, d’hypocrisie » de Robert Greslou. Pour devenir un malfaiteur, ce « déséquilibré, ce raté, ce maniaque atteint de manie raisonnante » n’a donc pas eu besoin d’un conseil ni d’un maître. Bien loin d’être une preuve du pouvoir des idées à se transformer en actes, il en est plutôt une de leur impuissance à prévaloir contre les instincts. Et si nous devons tirer une leçon de son histoire, ce n’est pas qu’il peut y avoir et qu’il y a des crimes littéraires ou philosophiques, c’est que son maître est vraiment bien bon, pour ne pas dire bien naïf, de croire que les doctrines d’un savant l’engagent envers ceux qui s’en autorisent. Mais on oublie d’abord, quand on raisonne de la sorte, et que l’on ajoute tranquillement : « Sans avoir lu le livre d’Adrien Sixte, nous pouvons être assurés qu’on n’y trouvera pas un seul passage où Greslou puisse trouver un point d’appui pour s’excuser ; » on oublie que ces passages, M. Bourget a pris soin de les citer l’un après l’autre, et que c’est même là ce qui fait le principal intérêt de sa thèse. Si l’on ne trouvait pas un « seul passage » dans les livres du philosophe, « où Greslou puisse trouver un point d’appui pour s’excuser, » il n’y aurait pas de « disciple, » il n’y aurait pas de question, il n’y aurait pas de roman. Mais ce que l’on oublie encore davantage, c’est que l’éducation n’a d’objet tout justement que de rectifier les instincts « vicieux » ou « maladifs ; » que de susciter d’abord en chacun de nous, d’entretenir ensuite et de consolider des idées qui contre-balancent notre disposition naturelle au « mensonge » ou à la « sensualité, » des raisons de ne pas faire, des motifs d’inhibition ; et que de greffer enfin l’honnête homme ou l’homme social, si je puis ainsi dire, sur celui que l’on a trop vite fait d’appeler, depuis quelque temps, le mattoïde ou le criminel né.

Existe-t-il des criminels nés ? J’en suis moins sûr que l’anonyme de la Revue scientifique ; et, s’il faut être franc, ce qui m’en fait douter, ce ne sont pas des raisons de sentiment, c’est la nature même des moyens qu’on a pris pour en établir l’existence. Il n’y en a pas de moins « scientifiques : » j’entends ici qui témoignent d’un pire et plus surprenant oubli de toute logique et de toute méthode. Avec les mensurations, les observations, et les expériences dont le professeur Lombroso s’est servi pour composer le caractère du criminel né, je me charge, quand il le voudra, de lui démontrer qu’il y a des victimes nées. Mais, quoi qu’il en soit, laissant à d’autres l’étude pathologique du criminel né, c’est précisément le criminel d’occasion, ou pour mieux dire d’aventure, que M. Bourget nous a mis sous les yeux, c’est le criminel qui pouvait ne pas l’être, qui l’est devenu cependant ; et tout l’intérêt du Disciple est de nous montrer comment il l’est devenu. Ou,