Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE LITTERAIRE

QUESTION DE MORALE

Il y a tantôt deux mois qu’ici même, à l’occasion du dernier roman de M. Paul Bourget : le Disciple, j’essayais de faire voir que les philosophes ne sont pas tout à fait irresponsables des conséquences de leurs doctrines ; — que, pour attaquer, au nom de la métaphysique ou de la science, les principes essentiels de l’ordre social, il fallait soi-même être bien assuré de la solidité de ceux que l’on professe ; — et que, malheureusement, on ne pouvait jamais l’être, si l’esprit de l’homme est faible, si la science ne sert qu’à reculer les bornes de notre ignorance, et si la métaphysique, étant par définition la recherche de l’inconnaissable, est donc ainsi ce que l’on pourrait appeler l’infatigable et l’éternelle Errante. Je croyais bien, en le disant, n’avoir rien dit que d’assez simple, ou même d’un peu banal ; et j’avouerai que je le crois encore. Il me paraissait, il me paraît toujours évident, que d’enseigner, par exemple, avec le « divin » Spinosa, que « la pitié est indigne du sage, » c’est proférer une parole dangereuse dont le danger n’est pas diminué, mais plutôt et au contraire accru, quand on la fonde, comme il fait, sur une définition éminemment arbitraire de la Chose finie en son genre ou de la Cause de soi. En effet, si nous sommes durs, égoïstes et lâches, il importe que nous sachions que nous le sommes, et que nous ne décorions pas notre inhumanité du nom pompeux de conformité à l’ordre universel. Je pensais, il y a deux mois, et je pense