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s’il convenait de répondre à l’invitation de la France. Le refus de l’Italie rendait la décision délicate ; « mais, ajoutait-il, nous nous sommes rappelé que la France nous a toujours protégés, sous Napoléon comme sous Louis XIV ; l’Italie refusait, Saint-Marin a accepté. » En d’autres temps, je crois volontiers que cette affirmation, faite avec une certaine solennité, eût éveillé des idées gaies. Par ce temps d’Exposition, on devient très naïf ; cette obole de reconnaissance me parut tout autre chose que ridicule. Il me sembla qu’avec ces quelques mots l’étranger racontait toute l’histoire de ma pauvre sotte de patrie, qui s’avise de jouer en ce monde le rôle de la justice éternelle, qui se met à des les puissans et les forts, et qui s’en revient de ses batailles séculaires, meurtrie, abandonnée de tous, récompensée par la fidélité de la république de Saint-Marin ; il me sembla que cet inconnu témoignait pour toute la conscience de l’humanité : elle juge autrement que la sagesse des chancelleries, elle sent confusément que, si la plus haute gloire des saints est faite des verres d’eau donnés aux misérables, la meilleure grandeur d’un peuple est trempée dans les folles gouttes de sang qu’il a versées pour le droit des faibles et des petits.

Notre génie est humain ; dans ce mot gît tout le secret de notre supériorité artistique et industrielle. Nulle part le trait distinctif du caractère national ne s’est conservé plus visible que dans les produits de nos industries décoratives. D’autres apporteront peut-être aux mêmes ouvrages plus d’originalité, plus d’audace, une poésie plus pénétrante ; les nôtres gardent la faveur des hommes parce qu’ils se font comprendre de tous. Ils ont toujours bonne grâce, s’ils n’ont pas toujours grand air ; ils étonnent rarement, ils plaisent à coup sûr. Ce qu’on en voit à l’Exposition révèle les qualités héréditaires de nos ouvriers d’élite, la souplesse qui s’accommode à tous les besoins, la politesse traduite en œuvres, l’ingéniosité plutôt que la grande invention, l’extrême habileté de main à défaut de conceptions très neuves, et surtout cette bonne humeur qui passe dans les choses, qui les rend aimables et légères, qui fait dire à l’acheteur sur les marchés les plus lointains : « Je préfère une jolie chose de France. » Quand elle vaut deux sous, elle est souvent affligeante pour l’esthétique ; mais sa gaieté et l’envie qu’elle a de plaire persuadent toutes les petites bourses ; plus relevée et sortie des doigts d’un artiste, elle ne fera peut-être pas rêver les chercheurs de sensations profondes, mais elle charmera partout la bonne compagnie.

Ces qualités ont leur plus haute expression dans le magnifique trophée des soieries lyonnaises ; je suis moins sensible encore à