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s’embarquât pour l’Europe. » En se tenant en force près de la Bohème ; Napoléon employait le seul moyen qu’il eût de tenir son beau-père tranquille. Il est vrai qu’en se battant si loin de chez lui, il risquait une ruine plus complète. La chute de Napoléon en 1814 et le retour des Bourbons causèrent à Morris une grande joie ; il voyait dans ces événemens la fin probable de la guerre entre son pays et l’Angleterre, une guerre qui lui faisait horreur et qu’il qualifiait de guerre civile. Il éprouvait pour l’Angleterre un véritable enthousiasme et la montrait comme « le bouclier de l’humanité contre le glaive de l’oppresseur, la nourrice des nations, prête à verser son sang et ses trésors pour son indépendance. » La paix fut en effet signée à Gand entre les deux pays. Le 28 avril 1815, le journal note le retour de Napoléon, « arrivé à Paris le 20 mars, à la tête de 80,000 hommes, envoyés contre lui. » Morris n’en est pas trop alarmé, il sait déjà que toute l’Europe va s’unir de nouveau : « Louis XVIII, dit-il, méritait, dans une certaine mesure, ce qui est arrivé ; » il le blâme pour n’avoir pas licencié « une armée, qui, habituée à la rapine, n’était pas capable de vivre en temps de paix. Mais pouvait-il le faire ? n’était-il pas, d’une certaine façon, prisonnier dans ses mains ? Les alliés auraient dû considérer dans quelle situation ils l’avaient mis. Mais ils raisonnèrent de ce qu’ils voyaient par ce qu’ils sentaient. Alexandre, qui prit la direction, avait encore la tête pleine de ce qu’il appelait sa philosophie ; et tous semblent avoir admis qu’une maxime qui n’est pas toujours bonne en temps de paix est applicable en temps de guerre, c’est-à-dire qu’une nation ne doit pas se mêler des affaires intérieures d’une autre. Les Romains auraient ri d’un tel enfantillage. » Bonaparte n’avait jamais cessé, aux yeux de Morris, d’être un jacobin ; il était le dictateur nécessaire aux démocrates. « Je suis disposé à croire, écrivait-il après sa chute, qu’avant longtemps les doctrines jacobines seront vaincues partout. La famille des nations ne sera plus tourmentée par l’agitation vaine et présomptueuse de l’un de ses membres. Ceux qui, comme Napoléon, nient la loi, doivent, comme Napoléon, être mis hors la loi. »

Morris vécut assez longtemps pour apprendre la défaite de Napoléon à Waterloo ; son journal annonce brièvement que « Bonaparte s’est rendu au vaisseau le Bellerophon et s’est remis à la générosité britannique. »

Puis les notes deviennent rares ; la goutte, d’autres maladies encore le travaillent. Il ne s’occupe plus beaucoup de l’Europe, mais jusqu’au dernier moment, il se préoccupe de l’avenir de son pays ; il a les yeux grands ouverts sur les dangers de l’avenir, il les exagère volontiers, son langage s’empreint d’une sorte de gravité solennelle et sévère. Il a revu avec joie la restauration de la