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soit qu’elle tombe sous la domination d’un usurpateur (ce qui est la terminaison naturelle de l’état présent), soit qu’elle se donne une forme tolérable de république, deviendra dangereuse pour la liberté de toute l’Europe. S’il s’établissait un despotisme militaire, ce gouvernement économique, simple et sévère trouverait des ressources abondantes dans le sol, le climat et l’industrie d’un si beau pays. « Il ignore si l’Angleterre pourra décider la Prusse à l’action, mais il lui en indique le seul moyen : « le caractère de ce peuple, formé par une succession de princes rapaces, est tourné à l’usurpation. »

La Prusse, qui, la première, avait pris les armes contre la république française, avait signé l’humiliante paix de Bâle ; on ne faisait pas de vœux à Berlin pour le succès des armes autrichiennes. Haugwitz était favorable à l’alliance française et le roi n’avait aucun plan politique. À la cour du prince Ferdinand, on se réjouissait ouvertement de tout ce qui arrivait de malheureux aux Autrichiens ; on s’épouvantait de la hardiesse des propos de Morris. Celui-ci comprit vite que l’Angleterre n’obtiendrait rien à Berlin sans une pression russe. Désireux d’être renseigné sur les dispositions de toutes les cours, il se rendit à Dresde, qu’il trouva plein d’émigrés français. « Ils vont à l’est, écrit-il, pour éviter leurs compatriotes. On leur permet de rester seulement trois jours. Pauvres gens ! et pourtant ils vont voir tout ce qu’il y a de curieux ; ils sont sereins, ils sont gais. Une si grande calamité ne saurait tomber sur des épaules aussi capables de la supporter ; mais, hélas ! le poids ne diminue pas pour être porté avec grâce, » Morris trouva à Dresde tout « à la débandade ; » et, à moins que l’empereur de Russie ne s’en mêle, il ne voit pas ce qu’on peut obtenir. La retraite de Moreau lui permit de continuer tranquillement son voyage en Allemagne ; il se rendit à Vienne en passant par Prague. Il fut bien reçu de Thugut : celui-ci avait énergiquement continué à lutter contre la république, sans se décourager par les paix séparées signées par les Provinces-Unies et par la Prusse. Morris s’étonne que les malheurs de l’Autriche ne l’amènent point à l’idée d’abandonner ses possessions italiennes ; « mais d’autres idées ont cours ici. Quos vult perdere, etc. » Il fit auprès de Thugut de vains efforts pour faire mettre en liberté Lafayette, qui était toujours dans les prisons de l’Autriche.

Dans les premiers jours de 1797, Morris retourna à Dresde, d’où il se rendit de nouveau à Berlin. Il y a, écrit-il à lord Grenville, en réalité deux empereurs en Allemagne, celui du Nord et celui du Sud. De leur jalousie dépend l’existence maladive de toute sorte de petites principautés. Mais tôt ou tard les deux grands