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faisait le peuple « parce qu’il n’est pas supposé connaître le droit des gens et qu’il est dans un état de furie inconcevable, qui le rond propre à recevoir toutes les impressions et à commettre tous les excès. » Talleyrand le pressait pourtant de partir, parce que tous les autres membres du corps diplomatique quittaient Paris. « Cette après-midi (2 septembre), on annonce le massacre des prêtres enfermés aux Carmes. Puis on est allé à l’Abbaye et on y a massacré les prisonniers. Ceci est horrible… » Le 3 septembre, « les massacres ont continué toute la journée. On me dit qu’il y a à peu près huit cents victimes. Le ministre de Parme, l’ambassadrice de Suède ont été arrêtés au moment de partir. Et toujours l’on massacre (4 septembre). « (Le 6 septembre), les massacres continuent… l’évêque d’Autun a obtenu un passeport. Il me dit qu’il ne croit pas que le duc de Brunswick pourra venir à Paris et il me presse fortement d’en sortir… » Le 10 septembre, on massacre les prisonniers à Versailles. « Nous avons eu, écrit-il à Jefferson, une semaine de meurtres sans résistance… » M. de Montmorin, son ami, était parmi les victimes. Il nomme encore Mme de Lamballe, le duc de La Rochefoucauld ; peu d’autres noms. Lafayette avait mis la frontière entre lui et l’assemblée : « Le cercle est complet, dit Morris. Il est brisé par la roue qu’il a mis lui-même en mouvement. Il a duré plus longtemps que je n’aurais cru. J’ai toujours déploré sa situation et plus que jamais, je sens le désir de soulager ses ennuis. « Lafayette avait été arrêté aux avant-postes autrichiens et traité en prisonnier de guerre. Morris ne s’épargna jamais pour lui venir en aide et travailla personnellement plus tard à sa libération. Comme ministre des États-Unis, il n’avait dans le moment rien à dire contre l’arrestation d’un sujet français.

Son journal devient de plus en plus bref, mais chaque ligne est un événement ; il assiste à des scènes qui lui font dire : « Je ne prétends pas décrire ce que je voudrais oublier. » Le 21 septembre, la convention abolit la royauté : « Vous verrez, dit-il à Washington, que le roi est accusé de haute trahison et de crimes ; je crois véritablement qu’il désirait que cette nation pût jouir de toute la liberté que la situation comporte. Quel sera son sort ? Dieu le sait, mais l’histoire nous montre que, pour les monarques détrônés, le chemin est court de la prison au tombeau. » Dans la situation terrible où il était, il demandait des instructions précises, tout en convenant qu’il pouvait être incommode de les lui donner. A partir des massacres de septembre, son Journal devient plus bref, il note seulement les bruits du jour relatifs aux opérations militaires. Parfois il écrit : « Aujourd’hui tout est tranquille. » Il enregistre les succès des armées de la révolution : « Les villes tombent devant elles sans coup férir, et la Déclaration des Droits de l’homme produit