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qui leur parut le plus essentiel fut de faire sortir la famille royale de Paris. Les mesures étaient si bien prises à cet effet que le succès en était presque immanquable, mais le roi (pour des raisons qu’il est inutile de détailler ici) renonça au projet le matin même fixé pour son départ, alors que les gardes suisses étaient déjà partis de Courbevoie pour couvrir sa retraite. Les ministres, qui se trouvaient gravement compromis, donnèrent tous leur démission. Le moment était d’autant plus critique que sa majesté tenait déjà les preuves de la conspiration tramée contre sa personne… »

Ce mémoire nous apprend aussi que Morris consentit à prendre chez lui de l’argent du roi, qu’il reçut de M. de Monciel une somme qu’il convertit en 5,000 louis d’or ; il remit ces 5,000 louis aux mains de « son altesse royale, » à Vienne, après avoir vainement tenté de les restituer plus tôt.

Il y a une allusion à ces faits dans le journal : « Le 3 août, M. Brémond (homme de confiance de Monciel) m’apporte 5,000 louis d’or, qu’il a achetés… Il me dit que le roi et la reine sont très malheureux et dans de grandes appréhensions… Je trouve lady Sutherland à ma porte. Elle vient pour obtenir un rendez-vous entre moi et le chevalier de Coigny. Je réponds que je serai chez moi demain s’il vient me rendre visite. Il voudrait donner mes idées directement à la reine, sans qu’elles passent par M. de Montmorin. Ils s’attendent tous à être massacrés le soir au château. »

Quelques jours après, le 10 août, la populace en armes envahit le palais et massacra les Suisses : le roi et la reine durent se réfugier dans l’assemblée, qui décréta la suspension de l’autorité royale. Les notes de Morris deviennent brèves, fiévreuses ; on vient lui demander de tous côtés des passeports. Sa colère et sa douleur n’ôtent rien à sa lucidité. Il voit les causes du mal, un roi « qui a une fermeté sans pareille pour souffrir et aucun talent pour agir, troublé par ses scrupules religieux, embarrassé par son serment à une constitution que sa conscience lui dénonce comme mauvaise, » les modérés, qui les premiers ont mis la révolution en branle, et qui ne peuvent plus l’arrêter, les républicains qui marchent audacieusement à leur but, toute autre solution que la monarchie absolue ou la république hors de cause ; « cette question ne peut être résolue que par la force. » Les ministres étrangers prenaient la fuite, plutôt qu’ils ne prenaient congé. On faisait honte à Morris de demeurer à Paris : « Je resterai pourtant, écrivait-il à Jefferson ; mes lettres de crédit sont auprès de la monarchie, non pas de la république de France. » Il ne se sent pas autorisé à prendre parti et il estime que si la majorité des Français se prête au nouveau gouvernement, les États-Unis le reconnaîtront. Il avait tous les jours quelque sujet de plainte, mais il ne s’offensait pas de ce que