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que cette constitution est inexécutable. « Il lui donne une sorte de carte politique de la France ; le Midi est imbu de principes républicains ou plutôt démocratiques, le Nord est clérical, l’Est est attaché à l’Allemagne et ne demande qu’à être réuni à l’empire (l’erreur est ici manifeste), la Normandie est aristocratique, de même qu’une partie de la Bretagne ; le centre du royaume est monarchique. Les émigrés, qui ont rejoint en grand nombre les princes, sont convaincus qu’une coalition des souverains de l’Europe remettra les choses dans l’ancien état, « je crois qu’ils se trompent bien. » Morris connaissait trop bien l’état des cours, les divisions de l’Allemagne, pour être la dupe de ces illusions. « Le côté faible du royaume, dans l’état actuel, est en Flandre ; mais que les provinces d’Alsace-Lorraine, de la Flandre française, de l’Artois, soient détachées, et la capitale se trouvera constamment exposée aux visites de l’ennemi. Ces provinces ont été, vous le savez, acquises avec de grands sacrifices de sang et d’argent, et si Louis XIV avait pu faire du Rhin sa frontière depuis la Seine jusqu’à l’océan, il aurait eu presque les avantages d’une position insulaire. » Malgré les préparatifs de Condé, de l’empereur, malgré le congrès convoqué à Aix-la-Chapelle, il ne croit pas qu’on fasse rien de sérieux en 1791.

Parlant de la situation de Lafayette, il écrit à son frère : « Notre ami Lafayette n’a plus aucune influence. Il parle de se retirer en Auvergne, de passer l’hiver dans ses terres. Le roi et la reine le détestent, les nobles le méprisent et l’abhorrent, de sorte que son étoile semble déchoir, à moins qu’il ne se mette à la tête du parti républicain, qui à présent lui est hostile. Tout cela vient d’une faiblesse de caractère et d’un esprit d’intrigue qui sert le courtisan, mais ruine l’homme d’état. J’en suis fâché pour lui, car je crois qu’il voulait le bien. »


II

La nouvelle assemblée, composée de sept cent quarante-cinq membres, presque tous hommes nouveaux, montre tout de suite son esprit en refusant, en parlant au roi, de se servir des mots de sire et de majesté ; elle revint cependant sur cette résolution peu de jours après l’avoir prise, la voyant condamnée par le sentiment populaire, un moment redevenu plus favorable à Louis XVI. La lutte commençait à s’engager entre les constitutionnels et les girondins, et Morris en suivait avec attention toutes les péripéties, quand Washington le nomma ministre des États-Unis à Paris, bien qu’il n’eût pas réussi à conclure un traité de commerce avec l’Angleterre, qu’il fût connu pour son opposition à la révolution française