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lambeau de territoire dont elle ne pouvait se passer, l’avait livrée aux convoitises terribles qui firent la grandeur et la misère des hommes du moyen âge. Elle avait succombé aux séductions de la richesse, à l’orgueil de la force séculière ; la justice, la pudeur et la miséricorde s’étaient retirées peu à peu de ses sanctuaires. Rien des choses avaient changé en Italie depuis l’exode de la papauté en France ; le régime communal s’en allait, ruiné par ses propres excès ; les communes et le vieux régime féodal se fondaient lentement en un régime nouveau, la tyrannie. Déjà les Visconti de Milan montraient comment les grandes tyrannies absorberaient les petites. Quant à l’empereur, depuis les descentes, tantôt lamentables, tantôt ridicules, de Henri VII, Louis de Bavière et Charles IV, « le marchand de foire, » il ne semblait plus à la péninsule qu’une forme vide, un souvenir archéologique. La politique réaliste de la renaissance italienne édifiait son œuvre, le pouvoir tout personnel du principe nuovo de Machiavel, du maître sans scrupules dont la volonté est toute la loi, et qui ne connaît plus ni chartes communales, ni droits féodaux, ni traditions républicaines. Or le saint-siège romain, à peine rétabli dans sa cité historique, se trouva contraint de suivre l’évolution générale de la péninsule ; l’effort prématuré de Boniface VIII pour constituer la royauté pontificale devenait désormais opportun ; l’indépendance de l’église, en face d’une Italie princière, ne pouvait plus être garantie que par le principat ecclésiastique. Il fallait donc recommencer le combat pour la vie et dresser une tente nouvelle à l’évêque de Rome. Mais le saint-siège, tout occupé, jusqu’aux derniers papes du XVe siècle, de ce grand intérêt terrestre, ébranlé d’ailleurs par le schisme, diminué dans sa primauté religieuse par les conciles de Constance et de Bâle, devenait plus impuissant que jamais pour l’œuvre de la réformation. Cent vingt années après sainte Catherine, les cris désespérés de Savonarole se perdaient encore dans le désert. Le vœu de ces deux grandes âmes n’émut sérieusement l’église romaine que vers le milieu du XVIe siècle, quand la société Chrétienne se fut divisée en deux familles irréconciliables.

Catherine eut une conscience assez claire de l’empêchement que la restauration temporelle du saint-siège apportait à la renaissance morale de l’église et du christianisme. Dans la seconde lettre à Grégoire XI, elle cherche une sorte de moyen terme entre la souveraineté séculière et la royauté purement spirituelle du pape. Elle n’abandonne rien du côté de Rome et de la présence à Rome du successeur de saint Pierre, a Comme vicaire du Christ, écrira-t-elle dans sa quatrième lettre, vous devez vous reposer dans la ville qui vous appartient en propre. » — « Sans doute, écrivait-elle dans la seconde, vous pourriez dire, saint-père : En bonne