Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personnes, dont huit, tirées de la plèbe, n’avaient jamais touché aux affaires publiques, dont quatre sortaient de l’ancienne seigneurie des dodici, formée de petits bourgeois ; les trois autres venaient de la seigneurie plus vieille encore des nove, bourgeois d’une nuance plus aristocratique. Ces quindici, sanctionnés par l’empereur Charles IV, prirent le surnom pompeux de réformateurs. Mais ils se gardèrent bien de commencer la réforme par eux-mêmes et de pacifier la ville en mettant d’abord la paix parmi les maîtres de l’état. C’étaient toujours, au gouvernement, les mêmes querelles dont la clameur, au dehors, réveillait l’émeute communale. Catherine entreprit alors de prêcher par lettres les régens (reggitori) de Sienne. Elle leur écrivait sur le ton un peu larmoyant de la prédication italienne qu’elle a toujours gardé : « Je vous aime plus que vous ne vous aimez vous-mêmes, j’aime la paix et votre salut autant que je vous aime. L’amour que je vous porte, ainsi qu’à tous les autres citoyens, et la douleur que j’ai de vos façons d’agir et de vos mœurs si peu conformes à la volonté de Dieu, sont mon excuse devant lui et devant vous ; j’ai le désir de pleurer sur votre aveuglement. » Quelques années plus tard, les seigneurs de Sienne s’appelèrent défenseurs de la cité ou défenseurs du peuple et de la commune. Ces patrons de la ville ne songeaient qu’à la protection de leurs personnes et de leur fortune. Nouveau sermon de Catherine, assez âpre cette fois, où l’égoïsme et même la cruauté de ces tyranneaux sont flagellés d’une main ferme. En ce temps-là, un citoyen, Agnolo di Andrea, ayant offert à quelques amis un repas champêtre, se vit condamner à mort pour n’y avoir invité aucun des réformateurs.

Peu à peu la frêle voix virginale, répétant toujours les mêmes paroles de charité et de justice, alla jusqu’au cœur de quelques-uns de ces magistrats, tels que le podestat Pietro del Monte ou Andréa di Vanni, capitaine du peuple, qui devint le fervent disciple de Catherine, et peignit de sa main une extase de la sainte dans la chapelle des voûtes à Saint-Dominique. La méthode de gouvernement qu’elle recommandait aux cités et aux seigneurs était d’une simplicité tout évangélique : « Fondez-vous, disait-elle, sur la pierre vivante, sur le doux Jésus-Christ et mêlez les prières à tous vos actes publics. » Elle répétait de tous côtés le même avis, aux féroces Belforti de Volterra, aux consuls et gonfaloniers de Bologne comme à la seigneurie de Sienne. Seule, dans cette Italie sanglante du XIVe siècle, l’hôtellerie de douleur que Dante avait maudite cinquante années auparavant, elle poussait, sans se lasser jamais, le même cri d’amour et de miséricorde. Au moment même où la primauté intellectuelle de Pétrarque, la plus grande que le moyen âge ait connue, finissait, saint Catherine prit, dans la