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deux grands idéalistes de la péninsule, Dante et Pétrarque, elle seule, la petite nonne toscane, a su réussir.


I

Elle naquit en 1347, le jour de Pâques fleuries. Son père, Jacopo Benincasa, était un modeste bourgeois, de la corporation des teinturiers. Sa mère, Lapa, était fille d’un poète bien oublié, Muzio Piagenti. Catherine eut vingt-quatre frères et sœurs. Autour de son berceau passa la grande calamité du siècle, la peste de 1348, qui emporta à Sienne et dans la campagne voisine quatre-vingt mille personnes. L’enfant grandit au sein d’une famille très pieuse et dans une ville en deuil. À six ans, elle eut sa première vision : elle vit le Christ, revêtu de lumière, accompagné de saint Paul, de saint Pierre et de saint Jean l’évangéliste ; le Sauveur éleva sa main droite et la bénit. Ces apparitions se renouvelèrent et l’appel de Dieu sembla si pressant à la jeune fille qu’elle résolut de fuir au désert et d’y vivre, à la manière des ermites légendaires, au fond d’une grotte. Elle prit un pain pour le voyage, car il était certain que, chaque jour, les oiseaux de la montagne lui apporteraient désormais sa nourriture ; elle sortit de Sienne, alla aussi loin qu’elle put, et finit par s’arrêter au pied d’un rocher, se croyant au bout du monde, tant elle était lasse de la route. Le soir, Benincasa ramenait l’enfant de sa thébaïde. Catherine renonça dès lors à la solitude perpétuelle de saint Antoine et de saint Macaire, mais se promit de ne vivre que pour Jésus et de se vouer à la conversion des hérétiques et des pécheurs. Quand elle atteignit sa douzième année, ses parens songèrent à la marier, et l’obligèrent à se parer, afin de séduire les yeux de quelque fiancé. Elle courut à son confesseur, le bienheureux Fra Raimondo, et s’accusa d’une vanité coupable. Le moine indulgent lui répondit qu’une fleur dans les cheveux, ou une ceinture de soie n’étaient point un péché bien grave ; mais elle, prenant déjà, en face de son père spirituel, le ton sévère avec lequel elle parlera plus tard aux chefs de l’église, s’écria : « Seigneur mon Dieu ! quel confesseur j’ai choisi ! le voilà qui ne voit plus mes péchés. » Un autre prêcheur, plus fin que Raimondo, tout en lui parlant des pièges que le diable tend aux âmes candides par l’attrait même de la vie religieuse, lui conseilla, pour l’éprouver, de couper ses cheveux. « Ainsi, disait-il, aucun époux ne demandera plus votre main. » Catherine fit tomber sa chevelure. Elle vit alors en songe les fondateurs des grands ordres monastiques ; elle laissa s’éloigner ceux qui imposèrent aux nonnes soumises à leur règle la claustration absolue et l’oubli du monde, saint Jean du Carmel, saint Benoît, saint François d’Assise ; quand