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constitution d’une sorte de gendarmerie volontaire, enrôlée, sur l’ordre du roi, parmi les nobles de la province, pour venir à bout des coureurs, des bandeurs, selon, le mot du temps, que la Ligue, même désorganisée, avait laissés derrière elle.

Ces traits suffisent pour donner l’impression, du genre de vie que l’on menait, entre 1585 et 1595, dans la province où était situé le château de Richelieu. On peut imaginer l’isolement, les terreurs muettes des femmes et des enfans, les appréhensions des voisinages ennemis, les familiers mêmes et les domestiques suspects, les ponts levés à la moindre alerte, les longues nuits sans sommeil, ou les réveils en sursaut avec des bruits d’attaque au pied des murs, ou des lueurs d’incendie sur l’horizon.

Il faut joindre à tant de causes de tristesse, les difficultés domestiques, Le souvenir des grandeurs passées, les espérances déçues, l’inquiétude de l’avenir et jusqu’au mirage d’on ne savait quel retour de fortune qui viendrait, un jour, de là-bas, de Paris, de ces rois qu’on avait servis si fidèlement et qui, peut-être, n’avaient pas pour toujours oublié.

Mme de Richelieu avait retrouvé, dans le château de son mari, sa belle-mère, Françoise de Rochechouart, qui ne mourut qu’après 1595. On peut supposer que ce contact continuel avec une femme d’un âge, d’un rang et d’un caractère tout différens du sien, fut plutôt pénible pour Suzanne de La Porte. Richelieu lui-même, dans une lettre écrite au moment de la mort de sa mère, dit « qu’elle avait éprouvé en ce monde nombre de traverses, d’afflictions et d’amertumes. » Ce dernier mot paraît bien s’appliquer à des difficultés domestiques.

Une autre femme vivait également à Richelieu, c’était Françoise du Plessis, dame de Marconnay, veuve de messire Pierre Frétart, chevalier de Saulve et Primery, belle-sœur de Mme de Richelieu. Elle était la compagne habituelle des enfans et se rendait populaire parmi les gens du pays. Elle laissa toute sa fortune au fils aîné de Mme de Richelieu, Henri du Plessis.

On recevait fréquemment au château La visite de quelques parens. Tout d’abord, le grand-oncle des enfans, Jacques du Plessis, évêque de Luçon à partir de 1584, mort seulement en 1592, et qui avait été le tuteur du père de Richelieu. Il aidait Suzanne de La Porte dans la gestion de la fortune.

Elle paraît s’être confiée surtout à son propre frère, Amador de La Porte, homme de haut mérite, vif d’esprit et de caractère, appelé à jouer plus tard un rôle important près de son neveu, qu’il avait su deviner.

C’est encore dans sa famille propre que Mme de Richelieu rencontre un autre conseiller et confident, M. Dupont de Saint-Bonnet.