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salsepareille ; l’un d’eux, ayant patiemment colligé ces brins, est parvenu à tresser une très belle corde d’évasion avec ce dépuratif. Ils font même des vers : voici plusieurs cantates composées pour le 14 juillet par les pensionnaires de Gaillon. On en reçoit parfois de pires, et qui n’ont pas l’excuse de la maison centrale. Le public se porte vers la section rétrospective : des fers, des brodequins, des chevalets, des gravures lamentables, le supplice de Calas, l’écartèlement de Damions, bref toutes les abominations de l’ancien régime jusqu’en 1789 ; à partir de cette date, l’homme devient doux comme un agneau. Sur deux socles opposés, avec ces mentions en grosses lettres : Autrefois, aujourd’hui, — deux condamnés de cire ; celui d’autrefois, en haillons, hâve, hirsute, ferré aux chevilles sur sa botte de paille, menace du poing la société ; celui d’aujourd’hui, angélique, rasé de frais, bien vêtu, lit un bon livre, en s’appuyant sur sa pioche, dans un parterre de gazon et de fleurs. Il y a des fleurs à ses pieds. Qui donc parlait du grand nombre des récidivistes ? Voilà une concurrence redoutable pour les pauvres industriels qui montrent les horreurs de l’inquisition à la foire de Neuilly.

Montons dans les salles du premier étage : c’est le quartier-général de renseignement à tous les degrés, primaire, secondaire, supérieur. Ses trophées commençaient déjà au rez-de-chaussée ; ils débordent sur les pavillons de la ville de Paris, et un peu partout. La pédagogie expose avec orgueil ses écoles de tout ordre, les bibliothèques populaires, les laboratoires, les méthodes nouvelles, les nouveaux lycées de garçons, de filles, les tableaux comparés où les vieilles taches noires de l’ignorance s’éclaircissent rapidement, depuis quelques années. Tout nous parle des sacrifices consentis pour donner à tous la plus grande somme d’instruction possible ; et l’esprit rencontre ici les plus cruels problèmes qui puissent l’assaillir. — A-t-on bien fait ? Oui, nous dit un commandement intérieur plus fort que tous les raisonnemens. — A-t-on fait du bien ? C’est une autre question, insoluble, parce qu’elle est mal posée. Écartons la phraséologie de boniment électoral ; l’expérience personnelle et l’observation s’accordent pour nous démontrer que l’instruction, — je ne dis pas la science, apanage de quelques rares élus, — ne rend l’homme ni plus moral, ni plus heureux ; elle augmente l’intensité générale de la vie, et c’est tout. Consultez vos tables de criminalité, vos tables de suicides. Il faut donner l’instruction comme il faut donner du pain, sans plus d’illusion sur l’effet vertueux de ce don. Le pain restaure nos forces pour le bien ou pour le mal, indifféremment. Ainsi de l’aliment intellectuel. Suivant la nature de celui qui le reçoit, l’usage qu’il en fera,