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rétrospective du travail est achevée ; il va subir de nouvelles transformations et continuer ses destinées dans le palais des machines. Avec la chaîne de noms glorieux qui se déroulait en lettres d’or sur les frises, depuis l’entrée de la galerie, le cycle des grandes inventions se ferme. L’inventeur, au sens héroïque du mot, est une figure du passé ; nous avons peu de chances de la revoir chez nous. Dans l’état actuel des sciences, leurs bienfaits ultérieurs ne seront que les applications de principes déjà connus ; les routes sont étudiées dans toutes les directions, les points à explorer déterminés d’avance par la théorie. L’imprévu, le hasard de la trouvaille, n’ont plus guère de place dans le rayon de nos écoles et de nos sociétés savantes. Pour retrouver l’inventeur, il faut le chercher dans les milieux anciens du monde actuel, dans les groupes humains que notre civilisation n’a qu’imparfaitement pénétrés. Là, cette variété originale de l’homo industriosus fleurit encore. Je veux vous en présenter un, sans sortir de ce palais. Parmi tant d’âmes lointaines, différentes des nôtres, que l’Exposition a mises en branle et attirées dans notre sphère de travail, je n’en ai pas rencontré une plus intéressante.

A l’extrémité de la travée latérale qui relie le palais des Arts libéraux à celui des industries diverses, un emplacement est réservé à l’industrie rurale du peuple russe, à ces manufactures primitives dont la tradition se perpétue dans les villages du Dnieper et du Volga. Ces jours derniers, j’avisai là un petit éventaire qui porte cette enseigne : Kosticof-Almasof, inventeur-mécanicien : Omsk, Sibérie. — Sur l’établi s’entassent des modèles en carton, en liège, en fil de fer ; manèges, moulins, moteurs hydrauliques, débarcadères flottans, filtres, tours de campagne, sentiers de chaîne pour les marais, que sais-je encore ? Vingt autres mécaniques, appropriées aux besoins particuliers du pays des vastes eaux. Kosticof-Almasof, le mécanicien samooutchka, comme ils disent (littéralement : autodidacte, qui s’est instruit tout seul), était assis au milieu de ses œuvres : un homme dans la force de l’âge, aux traits réguliers et intelligens, avec une pensée en travail sous la face calme du paysan russe. Je lui demandai son histoire ; son regard s’anima, les paroles se pressèrent sur ses lèvres, sonnant la joie et la confiance de l’enfant abandonné qui entend une voix. Je traduis son récit ; j’ai le regret de l’abréger, je n’y ajoute pas un mot :

« Je suis natif d’Omsk, en Sibérie. Depuis l’enfance, j’ai travaillé là dans les fabriques pour gagner mon pain. J’ai toujours été entraîné vers la mécanique ; je regardais les machines, et je combinais des modifications, des perfectionnemens ; à mes momens de