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zone blonde sont sensiblement égales. Même partage équitable entre les yeux bleus et les yeux noirs. D’une collection de cristallins en émail, donnant la coloration de l’iris chez les différentes races, il semble ressortir que les plus beaux yeux se trouveraient chez les Lapons. On est tenté de réclamer on laveur d’une race éteinte, les Aztèques, pour peu qu’on ait examiné, dans le pavillon de la république bolivienne, une sébile pleine d’yeux fossiles, translucides, d’un or pâle de topaze. La rêverie s’y arrête longtemps, effrayée et retenue devant ces reliques où la lumière réveille des images mystérieuses. Quel joaillier pourrait offrir à une reine un collier qui valût ces diamans humains ? Diamans morts, qui recevaient la splendeur du monde et la transformaient en idées, longtemps avant que le pied d’un Européen ne se fût posé sur la terre américaine. Ils ont admiré les soleils du Pacifique, ils ont jeté comme les autres leurs feux d’amour ; peut-être une image dernière demeure et continue de vivre, invisible pour nous, au fond de chacun d’eux, si toutefois le poète dit vrai :


Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Ouverts à quelque immense aurore,
De l’autre côté des tombeaux
Les yeux qu’on ferme voient encore.


D’autres yeux voient, en dedans, qui ne se sont jamais ouverts. Si vous entrez dans ce palais par la travée des asiles et des écoles professionnelles, arrêtez-vous à l’atelier de brosserie des jeunes aveugles. Quelques-uns des pensionnaires s’y livrent à leurs travaux délicats. Je ne sais rien de plus expressif et de plus attachant que ces figures recueillies. Chez nous, le rayon de la physionomie humaine se concentre tout entier dans le regard ; chez eux, il est diffus, répandu sur tous les traits ; chaque muscle de leur face exprime l’attention intérieure, avec quelque chose d’infiniment doux, d’infiniment pur. A qui les dévisage, ces figures communiquent la sensation de repos qu’on éprouve en rentrant dans une chambre obscure, après avoir cheminé par les rues un jour d’été.

Continuons devant nous, suivons le primate à travers ses métamorphoses. On a figuré ses premières peines avec ses premières acquisitions dans une sorte de musée Grévin de la paléontologie. Près de la souche creuse ou de la grotte qui leur sert d’abri, des couples rougeâtres, vêtus de peaux de bêtes, taillent le silex, coulent le bronze, tournent les vases d’argile. Ces ouvriers essaient leurs premiers pas sur la longue route qui les conduira à la galerie des machines. Autour de ce noyau de l’humanité primitive, les maîtres de nos écoles d’archéologie ont prêté leur savoir à l’arrangement de tableaux plus complexes,