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remercîment muet, et ce sourire, empreint d’une pieuse satisfaction, la transfigura. Elle s’arrêta, laissa tomber lentement sa croix à terre, et, se rapprochant de la jeune femme, se jeta à genoux devant elle.

— Que me veux-tu ? demanda celle-ci.

— Je suis prête, répondit l’étrangère, laissant glisser son lourd vêtement de ses belles épaules aux chairs rosées, flagelle-moi.

La jeune femme cacha ses mains dans les manches doublées de fourrure de sa kazabaïka et se tut.

— Je t’en supplie, frappe-moi !

La fière vertu restait toujours muette et ne bougeait pas.

— Si tu ne veux pas me flageller, continua la pécheresse, foule-moi aux pieds, car je le mérite.

Elle se jeta sur les marches devant son juge, baissant la tête, la nuque inondée de sa chevelure sauvage.

La jeune femme, les dents serrées, la frappa à deux reprises du bout de son petit pied dédaigneux. D’un mouvement spontané la pénitente, de ses deux mains, s’empara de ce pied, chaussé d’une pantoufle brodée d’or, et le pressa contre ses lèvres.

— Merci, murmura-t-elle, tu m’as fait du bien.

Elle se leva, remit sa lourde croix sur son épaule ; puis, triste et humble, continua son pèlerinage.

La jeune femme, devant la maisonnette blanche, couverte de vignes grimpantes dorées par le soleil, la suivit d’un regard étonné jusqu’à ce qu’elle eût disparu dans un nuage de poussière soulevé par le phaéton d’un riche juif.

Derrière la ville, la route montait et se perdait sur la hauteur, à travers une grande et épaisse forêt. Là, dans un fourré, caché derrière un mur noir de petits sapins, la pénitente s’était assise sur un tronc d’arbre, la tête appuyée sur ses deux mains. La croix reposait dans l’herbe devant elle.

Elle fut tirée brusquement de son anéantissement et parut se réveiller d’un rêve lourd et oppressant. Des pas précipités se rapprochaient, craquant sur les brindilles de sapin dont le sol était jonché. L’instant d’après, l’étudiant qui l’avait suivie, écartant les branches, parut à ses yeux.

L’étrangère tressaillit.

— Ne crains rien, dit le jeune homme, je ne suis pas ici pour me moquer de toi ou te juger. Tu me fais pitié et je ne puis te laisser partir, comme les autres, sans chercher à te venir en aide ou à t’être de quelque secours. Que puis-je faire pour toi ? Dis-le-moi, et je le ferai de grand cœur.

La pénitente secoua la tête.