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Zarka vint aux funérailles de son frère, puis elle retourna à Raguse pour faire ses adieux définitifs au couvent. Quand elle revint à Mladoska pour entrer en possession de la maison abandonnée, il n’existait plus, des deux familles ennemies, que Lazar Valentak et elle.

Personne ne parlait à Zarka du devoir traditionnel qui semblait lui incomber de venger la mort de son frère, car elle n’était qu’une femme, et les montagnards à moitié sauvages des bords de l’Adriatique, ne considérant la femme que comme une sorte de bête de somme, ne peuvent la croire capable de sentimens belliqueux et chevaleresques.

On ne lui parlait pas de la vendetta, mais on la traitait comme une paria couverte d’ignominie, malgré son innocence. Ses voisins l’évitaient, ses parens même s’éloignaient d’elle. Elle vivait ainsi abandonnée dans sa cabane, comme une maudite, seule avec ses chèvres et ses agneaux qu’elle menait paître, loin du village, dans des lieux où elle espérait ne rencontrer personne.

Souvent, elle se tenait assise sur un bloc de pierre, couvert de lichen, ayant devant elle, presque à ses pieds, la mer bleue et chatoyante, promenant ses regards dans le lointain, à travers cette humide solitude où passaient des voiles blanches et d’où s’élevait, de temps à autre, la colonne de fumée de quelque bateau à vapeur. Alors, il lui arrivait parfois de maudire l’heure de sa naissance et d’accuser le Créateur de l’avoir placée, dans ce monde grossier et cruel, sous la forme d’une femme faible, impuissante et méprisée. Heureusement, elle avait une foi si touchante et si profonde qu’elle se relevait vile de ces défaillances et se mettait à prier Dieu de lui donner la force nécessaire pour supporter son sort avec résignation.

Un jour, elle rencontra une bergère de Bratinje : — Est-ce que Lazar Valentak est chez lui ? demanda-t-elle.

— Non.

— Tu le connais ?

— Si je le connais !

— Quel air a-t-il ?

— Si, un jour, tu rencontres un jeune homme à la vue de qui ton cœur commence à battre avec précipitation, ce sera Lazar.

Zarka se mit à réfléchir. « Il se cache, » pensa-t-elle.

— On dit qu’il s’est enfui en Italie et qu’il s’est enrôlé comme soldat, dit la bergère.

Zarka poussa un gros soupir.

Quelques jours plus tard, dans une de ses pérégrinations, elle se trouva sur le territoire monténégrin. Là, dans un bois de sapins, elle vit tout à coup un jeune chasseur s’approcher d’elle. Tous deux